Le jour où j’ai compris que la solitude pouvait être lumineuse
« Tu crois vraiment qu’ils vont venir ? » Ma voix tremblait, coincée quelque part entre la colère et la honte. Ma mère, Claire, arrangeait les assiettes en carton sur la grande nappe à carreaux rouges, comme si rien n’était grave. Mais elle savait. Elle savait que ce matin-là, j’avais lu les messages sur mon téléphone : « On ne veut plus traîner avec toi. » « T’es trop bizarre, Lucas. »
C’était arrivé si vite. Il y a une semaine encore, je riais avec Hugo et Maxime à la sortie du collège Jean-Moulin, on se lançait des défis idiots sur le chemin du retour. Mais tout a changé le jour où j’ai osé dire à voix haute que j’aimais dessiner des mangas et que je préférais les romans aux jeux vidéo. J’ai vu leurs regards changer, comme si je venais d’avouer un crime. Le lendemain, plus personne ne m’attendait devant le portail.
Ce matin-là, c’était mon anniversaire. Treize ans. J’aurais dû être excité, mais je n’avais qu’une envie : rester enfermé dans ma chambre, les volets clos, à écouter la pluie tambouriner contre la vitre. Mais ma mère avait insisté : « On va faire une fête au parc, Lucas. Tu verras, ça va te changer les idées. »
Je l’ai suivie sans conviction jusqu’au square Léon-Blum, là où on allait jouer au foot quand j’étais petit. Elle avait tout prévu : ballons colorés, gâteaux faits maison, limonade dans une grande bonbonne. Mais autour de nous, il n’y avait que des bancs vides et quelques pigeons.
« Ils ne viendront pas », ai-je murmuré en fixant mes baskets.
Ma mère s’est accroupie à ma hauteur. « Tu sais, Lucas… Parfois, il faut du courage pour être soi-même. Et parfois, ça fait peur aux autres. Mais tu n’es pas seul. »
J’ai haussé les épaules. À quoi bon ? Même mon père n’était pas là — il travaillait encore ce samedi-là, comme d’habitude depuis le divorce.
C’est alors qu’une voix a retenti derrière nous : « Bonjour ! C’est ici l’anniversaire de Lucas ? » C’était Madame Dupuis, notre voisine du troisième étage, avec sa petite-fille Camille qui tenait un paquet emballé dans du papier journal.
Puis il y a eu Monsieur Lemoine, le boulanger du coin, qui passait par là et s’est arrêté en voyant les ballons. Il a sorti de son sac une baguette toute chaude : « Pour accompagner le gâteau ! »
Petit à petit, des gens du quartier se sont approchés. Des enfants que je connaissais à peine sont venus jouer avec moi au frisbee. Même la vieille Madame Morel, qui râle toujours après les jeunes trop bruyants, a souri en goûtant le cake au citron de ma mère.
Je me suis surpris à rire. À oublier Hugo et Maxime. À oublier les messages cruels sur mon téléphone.
À un moment, alors que je dessinais un portrait de Camille sur une serviette en papier, elle m’a regardé avec de grands yeux : « Tu dessines trop bien ! Tu pourrais me montrer comment tu fais ? »
J’ai senti quelque chose se dénouer dans ma poitrine. Peut-être que je n’étais pas si bizarre que ça.
La fête a duré tout l’après-midi. Les enfants ont improvisé une chasse au trésor dans le parc ; les adultes discutaient autour d’un café thermos. Ma mère rayonnait. Je l’ai vue essuyer une larme discrète quand j’ai soufflé mes bougies entouré de cette drôle de famille improvisée.
En rentrant le soir, le soleil couchant baignait la ville d’une lumière dorée. Ma mère m’a serré fort contre elle : « Tu vois Lucas ? Parfois, il suffit d’ouvrir un peu la porte pour que la lumière entre. »
J’ai repensé à mes anciens amis. Peut-être qu’ils ne comprenaient pas qui j’étais — ou peut-être qu’ils avaient juste peur d’être différents eux aussi.
Ce soir-là, avant de m’endormir, j’ai relu les messages blessants sur mon téléphone. Puis je les ai effacés un à un.
Est-ce qu’on doit vraiment changer pour plaire aux autres ? Ou est-ce qu’on peut espérer être aimé pour ce qu’on est vraiment ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?