L’avertissement de Maman : « Ne laisse jamais une amie seule franchir le seuil de ta porte »
— Tu n’aurais jamais dû la laisser entrer, Camille. Jamais.
La voix de ma mère résonne dans ma tête, plus forte que jamais, alors que je regarde Sarah s’installer dans mon salon, un sourire éclatant aux lèvres. Mon bébé pleure dans la chambre, affamé, et je sens déjà la tension monter en moi. Je me souviens de cette phrase, répétée mille fois depuis mon adolescence : « Une amie seule, c’est un loup déguisé. » Mais Sarah, c’est Sarah. Mon amie depuis la seconde, celle qui m’a vue pleurer pour mon premier chagrin d’amour, celle qui m’a tenue la main le jour du bac.
Pourtant, aujourd’hui, tout est différent. Je suis maman depuis trois mois. Je n’ai pas dormi plus de deux heures d’affilée depuis la naissance de Léa. Mon mari, Julien, travaille tard et rentre épuisé. Les journées sont longues, rythmées par les tétées et les lessives. Je me sens seule, invisible, comme si le monde continuait sans moi. Alors quand Sarah m’a appelée pour prendre un café, j’ai accepté sans réfléchir. J’avais besoin de parler à quelqu’un d’autre qu’à mon bébé ou à ma mère.
— Tu as l’air épuisée, souffle Sarah en posant sa main sur la mienne.
Je souris faiblement. Elle porte une robe légère, ses cheveux sont parfaitement coiffés. Elle sent le parfum et la liberté. Moi, je suis en jogging, des taches de lait sur le t-shirt. Je me sens minuscule à côté d’elle.
— Tu sais, Camille, tu devrais sortir un peu… Laisse Léa à ta mère ou à Julien. Viens avec moi samedi soir, il y a une soirée chez Paul.
Je ris nerveusement. Sortir ? Impossible. Léa refuse le biberon et je n’ai pas le cœur à la laisser.
— Tu ne comprends pas… Je ne peux pas.
Sarah hausse les épaules et regarde autour d’elle.
— Tu as changé, tu sais ? Avant, tu étais toujours partante pour tout…
Je sens une pointe de reproche dans sa voix. Un silence gênant s’installe. Léa recommence à pleurer. Je m’excuse et file dans la chambre. En allaitant ma fille, je repense à l’avertissement de ma mère : « Les amies seules apportent toujours des ennuis dans un couple. »
Quand je reviens au salon, Sarah discute avec Julien qui vient de rentrer plus tôt que prévu. Ils rient ensemble. Je les observe à travers l’embrasure de la porte : elle penche la tête en arrière, il sourit franchement — un sourire que je n’ai pas vu depuis des semaines.
Le malaise s’installe en moi comme une ombre sourde. Je me force à sourire quand ils se tournent vers moi.
— Camille ! Sarah me racontait vos souvenirs du lycée…
Sarah pose sa main sur l’avant-bras de Julien en riant. Un geste anodin, mais qui me glace le sang. Je me souviens des paroles de ma mère : « L’amitié féminine n’existe pas quand il y a un homme dans la maison. »
Le soir venu, après le départ de Sarah, Julien est d’humeur légère.
— Ça fait du bien de voir du monde ! Sarah est vraiment sympa…
Je ravale mes larmes. Pourquoi ai-je l’impression d’être une étrangère chez moi ?
Les jours passent et Sarah revient souvent « pour prendre des nouvelles ». Elle propose d’aider pour Léa, apporte des petits plats, s’incruste parfois au dîner quand Julien est là. Je sens son regard sur lui, ses compliments à peine voilés.
Un soir, alors que je berce Léa dans sa chambre plongée dans la pénombre, j’entends des éclats de rire dans le salon. Ma mère m’appelle sur mon portable.
— Tu fais une erreur, Camille. Une femme seule chez toi… Ce n’est jamais innocent.
Je raccroche brutalement. Pourquoi suis-je si méfiante ? Est-ce la fatigue ? La jalousie ? Ou bien ai-je raison de m’inquiéter ?
La tension monte entre Julien et moi. Il me reproche mon manque d’entrain, mon absence de désir. Je lui reproche ses silences complices avec Sarah.
Un samedi soir, alors que je refuse encore une invitation de Sarah pour « sortir entre filles », elle explose :
— Tu n’es plus toi-même ! Tu t’enfermes dans ta maternité comme dans une prison !
Je fonds en larmes devant elle.
— Tu ne comprends pas… J’ai peur de tout perdre…
Elle me serre dans ses bras mais son parfum m’étouffe.
Quelques jours plus tard, je découvre un message sur le téléphone de Julien : « Merci pour hier soir… J’ai adoré discuter avec toi. À très vite ! » signé Sarah.
Mon cœur se brise en mille morceaux. Je confronte Julien qui nie toute ambiguïté :
— Tu te fais des idées ! C’est toi qui t’éloignes…
Je crie, je pleure, je supplie qu’il me rassure. Mais il s’enferme dans le silence.
Je me tourne vers ma mère qui soupire tristement :
— Je t’avais prévenue…
Je coupe les ponts avec Sarah du jour au lendemain. Elle insiste au début puis finit par disparaître.
Julien et moi tentons de recoller les morceaux mais quelque chose s’est brisé entre nous — la confiance peut-être, ou l’innocence des débuts.
Aujourd’hui encore, alors que Léa grandit et que la vie reprend son cours, je repense à cette période sombre où j’ai failli tout perdre par solitude et naïveté.
Est-ce vraiment possible d’avoir une amie proche quand on devient mère ? Ou bien faut-il écouter les vieux avertissements et protéger son foyer à tout prix ? Qu’en pensez-vous ?