L’Anniversaire de ma Belle-Mère : Le Poids d’une Tradition
— Claire, tu as pensé à acheter le gâteau sans gluten pour Monique ?
La voix de mon mari, Julien, résonne dans la cuisine alors que je suis déjà en train de jongler entre le poulet au four, la ratatouille qui menace de brûler et la montagne de vaisselle qui s’accumule. Je serre les dents. Bien sûr que j’y ai pensé. Comme chaque année, comme pour chaque fête, tout repose sur moi.
Je jette un coup d’œil à l’horloge : 14h32. Ils arrivent dans moins d’une heure. Mon cœur bat trop vite. Je me demande comment j’en suis arrivée là, à transformer chaque événement familial en marathon domestique. Je n’ai même pas eu le temps de me maquiller ou d’enfiler autre chose que ce vieux jean taché.
Julien entre dans la cuisine, son téléphone à la main. Il ne remarque même pas la sueur sur mon front.
— Tu veux que je fasse quelque chose ?
Je le regarde, épuisée.
— Tu pourrais mettre la table, au moins ?
Il hausse les épaules, l’air de dire « c’est pas grand-chose », et disparaît dans le salon. Je l’entends déjà pianoter sur son portable. Je soupire. C’est toujours pareil : tout le monde trouve normal que ce soit moi qui gère tout.
Ma belle-mère, Monique, a toujours été exigeante. Elle aime que tout soit parfait : la vaisselle en porcelaine, les serviettes repassées, la tarte aux pommes maison (avec des pommes bio du marché, évidemment). Elle ne le dit jamais franchement, mais son regard suffit à me faire comprendre quand quelque chose ne va pas.
Je me souviens de la première fois où j’ai organisé Noël ici. J’avais passé trois jours à préparer un repas digne d’un chef étoilé. Monique avait juste dit : « C’est bon… mais chez nous, on met moins de cannelle dans le vin chaud. »
Aujourd’hui, c’est son anniversaire. Elle a insisté pour le fêter chez nous « parce que c’est plus convivial ». Traduction : parce qu’elle sait que je vais tout organiser.
15h15. On sonne à la porte. Je me force à sourire en ouvrant. Monique arrive la première, élégante comme toujours, suivie de mon beau-père Gérard et de la sœur de Julien, Sophie, avec ses deux enfants surexcités.
— Claire ! Tu es toute pâle, tu es sûre que ça va ?
Je ravale ma fatigue.
— Oui oui, tout va bien ! Entrez !
Monique me tend un bouquet de fleurs — des pivoines, mes préférées — mais je sais qu’elle ne les a pas choisies pour moi. Elle s’installe dans le salon et commence à donner des ordres à Sophie pour installer les cadeaux.
Julien arrive enfin pour dire bonjour à sa famille. Il s’assoit aussitôt avec Gérard pour parler foot. Les enfants courent partout, renversent un vase (heureusement vide), et Sophie s’excuse à peine.
Je retourne en cuisine. J’entends Monique demander :
— Tu crois qu’elle a pensé au gâteau sans gluten ?
Sophie répond :
— Avec Claire, on ne sait jamais…
Je serre les poings. J’ai envie de hurler. Mais je me retiens. Je sors le gâteau du frigo et commence à dresser les assiettes.
Le repas se passe dans une ambiance tendue. Monique critique discrètement la cuisson du poulet (« Un peu sec, non ? »), Gérard plaisante sur « ces femmes qui veulent tout contrôler », et Sophie raconte ses vacances à Biarritz sans jamais me demander comment je vais.
À un moment, alors que je débarrasse la table seule — personne ne propose de m’aider — j’entends Monique dire à Julien :
— Tu devrais peut-être dire à Claire de se reposer un peu… Elle a l’air fatiguée.
Julien répond :
— Elle aime bien organiser, tu sais…
Non, Julien. Je n’aime pas ça. Pas comme ça. Pas quand tout le monde considère mon travail comme acquis.
Après le gâteau (parfaitement sans gluten), Monique ouvre ses cadeaux et remercie tout le monde sauf moi. Je sens les larmes monter mais je me retiens encore une fois.
Quand tout le monde part enfin vers 19h30, la maison est sens dessus dessous. Julien s’affale sur le canapé.
— C’était sympa, non ?
Je m’effondre sur une chaise et je pleure en silence. Julien ne comprend pas.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je le regarde droit dans les yeux.
— Tu trouves ça normal que ce soit toujours moi qui fasse tout ? Que personne ne m’aide ? Que ta mère ne dise même pas merci ?
Il reste sans voix.
Je réalise alors que ce n’est pas seulement la faute de Monique ou de Sophie. C’est aussi moi qui ai laissé faire, par peur du conflit ou par envie d’être appréciée.
Mais ce soir, je décide que c’est fini. La prochaine fois, ce sera différent. Je mérite mieux que d’être invisible dans ma propre maison.
Est-ce qu’on doit toujours sacrifier son bien-être pour faire plaisir aux autres ? Et vous, jusqu’où iriez-vous pour préserver la paix familiale ?