« J’ai dû demander à ma belle-mère de rendre les clés : Quand on ne se sent plus chez soi »
« Camille, tu n’as pas encore rangé la vaisselle ? » La voix de Monique résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je sursaute, la tasse de café tremble dans ma main. Il est à peine huit heures du matin, je n’ai même pas eu le temps de m’habiller. Je n’ai pas entendu la porte s’ouvrir. Encore une fois, elle est entrée sans prévenir.
Je me souviens du jour où Paul, mon mari, m’a proposé de donner un double des clés à sa mère. « C’est juste au cas où, Camille. Si on part en week-end, elle pourra arroser les plantes ou récupérer un colis. » J’ai accepté sans réfléchir, voulant montrer que je pouvais être une belle-fille compréhensive. Après tout, Monique venait d’Issy-les-Moulineaux et n’avait plus que Paul depuis la mort de son mari. Je voulais l’accueillir, lui offrir une place dans notre nouvelle vie à deux.
Mais très vite, cette place a pris toute la place. Au début, ce n’était que pour déposer un gâteau ou un bouquet de fleurs. Puis elle a commencé à venir quand nous étions absents, puis quand j’étais seule. Elle rangeait les courses à sa façon, déplaçait mes livres, changeait les draps sans me demander. Un jour, j’ai retrouvé mes sous-vêtements soigneusement pliés sur le lit. J’ai senti une gêne profonde, un malaise qui ne m’a plus quittée.
Paul ne voyait pas le problème. « Elle veut juste aider, tu sais comment elle est… » Oui, je savais. Mais moi, je ne me sentais plus chez moi. J’avais l’impression d’être une invitée dans mon propre appartement.
Un soir, alors que je rentrais du travail épuisée, j’ai trouvé Monique assise dans le salon avec Paul. Elle avait préparé le dîner sans me prévenir. « Je me suis dit que ça te soulagerait », a-t-elle dit en souriant. Mais je n’avais rien demandé. Je me suis sentie effacée, inutile.
La tension montait entre Paul et moi. Je lui reprochais son manque de soutien, il me reprochait mon manque de tolérance. Les disputes devenaient fréquentes. Un matin, alors que je pleurais dans la salle de bains après une énième remarque de Monique sur ma façon de plier les serviettes, j’ai compris que je devais agir.
J’ai attendu que Paul parte travailler pour inviter Monique à prendre un café. J’avais préparé mes mots toute la nuit.
— Monique, il faut qu’on parle…
Elle m’a regardée avec ses yeux clairs, étonnée.
— Je crois qu’il vaudrait mieux que vous me rendiez les clés de l’appartement.
Un silence glacial s’est installé. Elle a posé sa tasse avec lenteur.
— Tu ne veux plus de moi ici ?
— Ce n’est pas ça… Mais j’ai besoin de retrouver mon espace. J’ai besoin de me sentir chez moi.
Elle a soupiré longuement.
— Tu sais, Camille… Après la mort de mon mari, cet appartement est devenu un peu comme une famille pour moi…
Ses mots m’ont touchée mais je n’ai pas cédé.
— Je comprends, mais Paul et moi avons besoin d’intimité pour construire notre vie ensemble.
Elle a fini par sortir les clés de son sac et me les a tendues sans un mot. J’ai senti son regard blessé sur moi toute la journée.
Quand Paul l’a appris, il a explosé :
— Tu exagères ! Elle voulait juste aider !
— Et moi ? Qui m’aide à supporter tout ça ? Tu ne vois pas que je ne respire plus ici ?
Il est parti claquer la porte. Cette nuit-là, j’ai dormi seule pour la première fois depuis notre mariage.
Les jours suivants ont été lourds de silence. Paul m’en voulait, Monique ne donnait plus de nouvelles. J’ai douté. Avais-je été trop dure ? Trop égoïste ? Mais chaque fois que je tournais la clé dans la serrure et que je retrouvais mon appartement vide et silencieux, je sentais une paix nouvelle m’envahir.
Petit à petit, Paul a compris mon besoin d’espace. Il a accepté d’aller voir sa mère plus souvent chez elle. Monique a fini par m’appeler pour me proposer un déjeuner « sur terrain neutre ». Nous avons parlé longtemps, elle a pleuré un peu. Moi aussi.
Aujourd’hui encore, il reste des cicatrices. Mais j’ai appris qu’il fallait parfois poser des limites pour se protéger soi-même et son couple.
Est-ce égoïste de vouloir être chez soi chez soi ? Jusqu’où doit-on aller pour préserver son intimité sans blesser ceux qu’on aime ? Qu’en pensez-vous ?