J’ai cessé d’aider mon fils financièrement, il a cessé de me voir : un an sans ma petite-fille
« Tu sais très bien que sans ton aide, on ne s’en sortira pas ! » La voix de Paul résonne encore dans mon salon silencieux. Il y a un an, j’ai posé la tasse de café sur la table basse, les mains tremblantes. J’ai regardé mon fils droit dans les yeux et j’ai dit : « Paul, je ne peux plus. Je suis à la retraite, tu comprends ? Je n’ai plus les moyens. »
Il a détourné le regard, vexé, presque méprisant. Depuis ce jour, il n’a plus jamais franchi le seuil de mon appartement. Camille, ma petite-fille adorée, n’a plus couru dans le couloir en criant « Mamie ! » Je n’ai plus entendu ses rires, ni senti ses petits bras autour de mon cou. Un an. Douze mois de silence. Douze mois à me demander si j’ai été une mauvaise mère.
Je m’appelle Mireille, j’ai 68 ans et je vis à Lyon, dans un quartier tranquille où les voisins se saluent sans vraiment se connaître. J’ai élevé Paul seule après le départ de son père. J’ai cumulé deux emplois : femme de ménage le matin, caissière l’après-midi. Je rentrais tard, épuisée, mais heureuse de pouvoir lui offrir des vacances à la mer ou un vélo pour Noël. Je ne voulais pas qu’il manque de quoi que ce soit.
Quand Paul a eu 25 ans, il a rencontré Sophie. Ils se sont installés ensemble dans un petit appartement à Villeurbanne. Rapidement, ils ont eu Camille. J’étais fière, émue aux larmes le jour où j’ai tenu ce petit bout dans mes bras. Mais très vite, les demandes d’argent ont commencé : « Maman, tu pourrais nous avancer deux cents euros pour la crèche ? » « Maman, on a du mal avec le loyer ce mois-ci… »
Au début, je donnais sans compter. C’était normal pour moi d’aider mon fils. Mais à la retraite, mes économies ont fondu comme neige au soleil. J’ai commencé à compter chaque centime. Un jour, j’ai osé dire non. Paul s’est fâché : « Tu préfères garder ton argent plutôt que d’aider ta famille ? »
Depuis ce jour-là, plus rien. Pas un appel pour Noël, pas une carte pour mon anniversaire. Sophie m’a envoyé un message sec : « Nous avons besoin de stabilité pour Camille. » J’ai relu ce SMS des dizaines de fois, cherchant une faille, une ouverture pour renouer le dialogue.
Le pire, c’est l’absence de Camille. Elle avait six ans la dernière fois que je l’ai vue. Elle m’a offert un dessin : un soleil jaune et deux bonshommes qui se tiennent la main. J’ai accroché ce dessin sur le frigo ; il est toujours là, un peu jauni maintenant.
Je me demande sans cesse : ai-je trop donné ? Ai-je mal aimé ? Est-ce que Paul m’a vue uniquement comme un portefeuille ? Parfois, la nuit, je me lève et je regarde les photos de famille sur la commode. Je revois Paul enfant, souriant sur la plage de Palavas-les-Flots, insouciant. Où est passé ce petit garçon ?
Les voisins me disent : « Il finira bien par revenir… » Mais au fond de moi, je sens que quelque chose s’est brisé. J’entends les autres grands-mères parler de leurs petits-enfants à la boulangerie : « Camille a eu son spectacle de danse ! » Moi, je souris poliment et je rentre chez moi en retenant mes larmes.
Un dimanche matin, j’ai croisé Paul par hasard au marché Saint-Antoine. Il était avec Sophie et Camille. Mon cœur s’est emballé. J’ai osé un « Bonjour ». Camille a levé les yeux vers moi sans comprendre ; Sophie l’a tirée par la main en murmurant : « On y va… » Paul m’a lancé un regard froid avant de tourner les talons.
J’ai eu envie de crier : « Je suis ta mère ! Je t’aime ! » Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge. Je suis rentrée chez moi en pleurant comme une enfant.
Depuis ce jour-là, j’essaie d’occuper mes journées : je fais du tricot pour l’association du quartier, je lis des romans policiers et je regarde les infos à la télé. Mais rien ne comble ce vide immense.
Parfois, je rêve que Paul frappe à ma porte avec Camille dans ses bras : « Maman, pardonne-moi… » Mais au réveil, il n’y a que le silence.
Je me demande si d’autres mères vivent la même chose que moi. Est-ce qu’on peut vraiment tout sacrifier pour ses enfants sans rien attendre en retour ? Ou bien est-ce normal d’espérer un peu d’amour et de reconnaissance ?
Est-ce que j’aurais dû continuer à donner alors que je n’en avais plus les moyens ? Ou bien ai-je eu raison de penser enfin à moi ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?