J’ai caché mon augmentation à mon mari : le prix du silence
— Tu comptes encore acheter du saumon ce mois-ci ? On n’a pas les moyens, Camille !
La voix de Guillaume résonne dans la cuisine, tranchante, presque blessante. Je serre la poignée du frigo, le regard fixé sur les yaourts premier prix. Mon cœur bat trop vite. Je me retiens de lui dire que, oui, on pourrait se permettre du saumon. Que depuis trois mois, je gagne presque le double. Mais je ravale mes mots, comme chaque soir.
Je n’ai rien dit à Guillaume de mon augmentation. Pas parce que je veux lui mentir. Mais parce que je n’en peux plus de ces montagnes russes financières. Une semaine à vivre comme des rois, puis trois à compter les centimes. Guillaume a toujours été comme ça : il dépense tout dès qu’il a un peu d’argent, comme sa mère, Monique. Chez eux, on vit au jour le jour, sans jamais penser à demain. Moi, j’ai grandi dans une famille où l’on mettait de côté, où l’on anticipait les coups durs.
— Camille, tu m’écoutes ?
Je sursaute. Il me regarde avec ses yeux fatigués, un peu perdus. Je hoche la tête.
— Oui… excuse-moi. J’étais ailleurs.
Il soupire et quitte la cuisine. Je reste seule, le dos contre le frigo, la gorge serrée. Est-ce que je fais bien ? Est-ce que cacher cet argent est pire que de le voir filer en une semaine ?
Le soir, dans notre lit, il me tourne le dos. Je sens la distance grandir entre nous. Il ne sait pas que j’ai ouvert un livret A à mon nom, que j’y verse chaque mois une partie de mon salaire. Il ne sait pas non plus que j’ai refusé une sortie avec mes collègues pour ne pas éveiller ses soupçons.
Un samedi matin, alors que je prépare le café, Monique débarque sans prévenir. Elle s’installe dans le salon et commence à parler de ses dettes, de ses problèmes de voiture, de la vie chère.
— Tu sais, Camille, Guillaume m’a dit que vous aviez du mal en ce moment…
Je serre les dents. Guillaume n’a jamais su dire non à sa mère. Elle lui demande toujours de l’aider financièrement, même quand nous sommes à découvert.
— On s’en sort, Monique. On fait attention.
Elle me lance un regard suspicieux.
— Pourtant, tu travailles beaucoup…
Je détourne les yeux. Elle sent quelque chose. Je sens la pression monter.
Le soir même, Guillaume me demande :
— Tu ne trouves pas qu’on devrait aider maman ? Elle est vraiment dans la galère…
Je craque.
— Guillaume ! On ne peut pas continuer comme ça ! On ne peut pas vivre pour ta mère !
Il me regarde comme si je venais de le gifler.
— Tu es égoïste, Camille. Tu penses qu’à toi.
Je sors de la pièce en claquant la porte. Je m’effondre dans la salle de bains. Les larmes coulent sans bruit. Pourquoi est-ce toujours moi qui dois porter le poids du monde ?
Les jours passent et la tension devient insupportable. Un soir, alors que je rentre plus tard que d’habitude, je trouve Guillaume assis sur le canapé, une enveloppe ouverte devant lui.
— C’est quoi ça ?
Il brandit un relevé bancaire à mon nom. Mon livret A.
— Tu me caches de l’argent ? Depuis combien de temps tu me mens ?
Sa voix tremble de colère et de tristesse. Je tente d’expliquer :
— Je voulais juste qu’on ait un peu de sécurité… Tu dépenses tout dès que tu peux ! J’en ai marre de finir chaque mois à découvert !
Il secoue la tête.
— Tu ne me fais pas confiance… Tu préfères me mentir plutôt que d’affronter les problèmes avec moi.
Il part dans la chambre et commence à jeter ses affaires dans une valise. Je le supplie de rester, de parler, mais il ne m’écoute plus.
— Je vais chez maman. J’ai besoin de réfléchir.
La porte claque derrière lui. Le silence s’abat sur l’appartement.
Les jours suivants sont un enfer. Monique m’appelle pour me dire que je suis une manipulatrice, que j’ai blessé son fils. Mes parents me demandent ce qui se passe ; je n’ose rien leur dire.
Je me retrouve seule avec mes économies et mon sentiment de trahison. Ai-je eu tort ? Aurais-je dû tout lui dire dès le début ? Ou bien est-ce lui qui refuse de voir la réalité en face ?
Un soir, je relis nos anciens messages sur mon téléphone. Je repense à nos débuts, à nos rêves communs : acheter une maison près de Nantes, avoir un enfant… Tout semble si loin maintenant.
Guillaume finit par revenir chercher quelques affaires. Il ne me regarde même pas.
— Tu as détruit notre confiance, Camille.
Je voudrais lui crier que c’est lui qui m’a poussée à bout, que je n’en pouvais plus d’être la seule adulte dans ce couple d’enfants gâtés par la vie ou par leur mère… Mais les mots restent coincés dans ma gorge.
Aujourd’hui encore, je me demande : est-ce qu’on peut aimer quelqu’un et lui cacher la vérité pour son bien ? Ou est-ce toujours une trahison ? Est-ce qu’on peut vraiment construire un avenir solide quand on n’a pas les mêmes valeurs ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?