Étiquetée de Paresseuse : Mon Combat pour la Qualité et la Reconnaissance
« Tu crois que la vie, c’est un catalogue d’objets connectés ? » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre ma tasse de café, les mains tremblantes. Ce matin-là, tout a explosé. J’avais à peine déballé mon nouvel ordinateur portable – le modèle dont je rêvais depuis des mois – que déjà, la tempête grondait.
— Camille, tu te rends compte de ce que tu fais ? Tu dépenses tout ton salaire dans des gadgets !
Je n’ai pas répondu tout de suite. J’ai regardé mon père, assis en silence derrière son journal. Il n’a pas levé les yeux. Ma petite sœur, Léa, a roulé des yeux en soupirant :
— Franchement, t’abuses. T’aurais pu prendre un modèle moins cher et garder l’argent pour autre chose.
Mais ce n’était pas « juste » un ordinateur. C’était le fruit de mes sacrifices : les déjeuners sautés à la fac, les heures supplémentaires au Monoprix du quartier, les soirées à refuser les sorties pour économiser. Je voulais du solide, du fiable. Pas une machine qui me lâcherait au bout d’un an.
Le pire, c’est que je savais que ce ne serait pas fini là. Au bureau, c’était pareil. Quand j’ai sorti mon nouveau robot-cuiseur – acheté d’occasion mais en parfait état – pour préparer le déjeuner partagé du vendredi, j’ai senti les regards glisser sur moi.
— Eh ben dis donc, Camille ! On ne se refuse rien !
C’était Paul, le collègue qui ne rate jamais une occasion de faire une remarque. J’ai souri, gênée.
— J’ai économisé longtemps…
— Ouais, ou alors t’es juste trop flemmarde pour cuisiner à la main comme tout le monde !
Les autres ont ri. J’ai senti mes joues chauffer. Pourquoi fallait-il toujours justifier ses choix ? Pourquoi le confort ou la qualité étaient-ils vus comme des caprices ?
Le soir, en rentrant chez moi – un petit studio sous les toits à Montreuil – j’ai repensé à tout ça. À cette impression d’être toujours jugée : trop dépensière, trop paresseuse, trop différente. Pourtant, je ne demandais pas la lune. Je voulais juste des outils fiables pour travailler et vivre mieux.
J’ai repensé à mon enfance. À ces années où mes parents se privaient pour nous offrir le strict nécessaire. Où chaque achat était pesé, discuté, parfois source de disputes. Peut-être que pour eux, acheter du haut de gamme était un luxe inaccessible, presque une trahison envers nos origines modestes.
Mais moi, j’avais envie de casser ce cercle. De montrer qu’on pouvait aspirer à mieux sans renier d’où l’on vient. Que choisir la qualité n’était pas une insulte à la simplicité ni une preuve de paresse.
Un soir, alors que je préparais un gratin dans mon robot-cuiseur flambant neuf, ma mère m’a appelée.
— Camille… Je voulais m’excuser pour ce matin. C’est juste que… j’ai peur que tu te perdes dans cette société où tout va trop vite.
J’ai senti sa voix trembler. J’ai eu envie de pleurer.
— Maman, je ne me perds pas. J’essaie juste de me construire avec ce que j’ai. Et parfois, ça passe par des choix différents des tiens.
Il y a eu un silence. Puis elle a soufflé :
— Peut-être que je dois apprendre à te faire confiance.
Ce soir-là, j’ai compris que le vrai combat n’était pas contre le regard des autres mais contre mes propres doutes. Que chaque génération porte ses blessures et ses rêves.
Au bureau aussi, les choses ont évolué. Un jour, Paul est venu me voir discrètement :
— Dis donc… Ton robot-là… Tu pourrais me montrer comment il marche ? Ma femme en rêve mais je n’y comprends rien.
J’ai souri. Peut-être qu’au fond, on cherche tous à améliorer notre quotidien – chacun à sa façon.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. De me demander si je fais bien d’investir dans la qualité plutôt que dans l’immédiateté ou l’apparence. Mais je sais pourquoi je le fais : pour moi, pour mon avenir, pour casser les chaînes invisibles du « on a toujours fait comme ça ».
Et vous ? Avez-vous déjà été jugés pour avoir voulu mieux ? Où s’arrête l’envie légitime de confort et où commence le « caprice » aux yeux des autres ?