Entre Prières et Cadeaux : Le Dilemme de Mamie Solange
— Tu ne comprends donc pas, Maman ? Tu ne peux pas leur offrir tout ce qu’ils veulent !
La voix de ma fille, Claire, résonne encore dans ma tête. Je suis assise sur le banc froid de l’église Saint-Nizier, les mains jointes, le cœur lourd. La lumière des cierges danse sur les murs de pierre, mais rien n’apaise la tempête qui gronde en moi. Je ferme les yeux et murmure une prière, espérant que Dieu m’aide à comprendre où j’ai failli.
Tout a commencé un samedi matin, alors que je passais devant la vitrine du magasin de jouets du quartier Croix-Rousse. J’ai vu ce train miniature, le même que celui dont rêvait mon petit-fils, Louis. Je n’ai pas résisté : je l’ai acheté, emballé dans un joli papier bleu, imaginant déjà ses yeux émerveillés. Mais lorsque je suis arrivée chez Claire pour le déjeuner familial, l’ambiance a changé dès qu’elle a vu le paquet.
— Encore un cadeau ? soupira-t-elle en posant la main sur son front. Tu sais bien qu’on essaie de limiter…
Louis, lui, sautait déjà de joie. Ma petite-fille Camille me serrait dans ses bras, réclamant sa part de surprise. J’ai senti mon cœur se gonfler d’amour et de fierté. Mais Claire m’a prise à part dans la cuisine.
— Maman, tu dois comprendre… On veut leur apprendre la valeur des choses. Si tu offres tout ce qu’ils désirent, ils ne sauront jamais attendre ou apprécier.
J’ai senti la honte monter en moi. Ai-je été trop généreuse ? Trop envahissante ? Je voulais seulement leur faire plaisir, compenser peut-être le temps que je n’ai pas pu donner à Claire quand elle était petite. À l’époque, je travaillais sans relâche à l’hôpital Édouard-Herriot ; les gardes de nuit, les réveils précipités… Je n’étais pas toujours là pour elle.
Le soir venu, de retour dans mon petit appartement du 7ème arrondissement, j’ai allumé une bougie devant la Vierge Marie. J’ai prié pour trouver la paix et la sagesse. Mais la nuit a été longue. Les souvenirs me hantaient : les anniversaires manqués, les Noëls où je rentrais trop tard…
Le lendemain, j’ai appelé mon amie Monique.
— Tu sais, Solange, me dit-elle d’une voix douce, on veut toujours donner ce qu’on n’a pas pu offrir avant. Mais parfois, il faut accepter que nos enfants fassent autrement.
Ses mots m’ont frappée en plein cœur. Peut-être que Claire avait raison. Peut-être que mon amour débordant étouffait plus qu’il ne réconfortait.
La semaine suivante, j’ai décidé de changer. J’ai proposé à Claire de venir chercher Louis et Camille à l’école et de passer l’après-midi au parc de la Tête d’Or. Pas de cadeaux matériels cette fois-ci : juste des histoires racontées sur un banc, des courses-poursuites autour du lac, des crêpes partagées sous les platanes.
En rentrant chez eux, Louis m’a serrée fort :
— Mamie, c’était trop bien aujourd’hui !
J’ai croisé le regard de Claire. Elle m’a souri timidement.
— Merci Maman… C’est exactement ce dont ils avaient besoin.
Mais le doute persiste. Quand je vois d’autres grands-parents offrir des montagnes de jouets à Noël ou à Pâques, je me demande si je prive mes petits-enfants de quelque chose. Est-ce que l’amour se mesure aux cadeaux ? Ou bien à la présence silencieuse d’une main qui rassure ?
Parfois, le dimanche matin à la messe, je prie encore :
— Seigneur, aide-moi à trouver ma place dans cette famille qui change si vite…
Je repense à ma propre mère qui disait toujours : « On élève ses enfants pour qu’ils deviennent libres… mais on n’est jamais prêt à les voir s’éloigner. »
Aujourd’hui, je tente d’accepter que l’amour se transforme avec le temps. Que ma générosité doit s’exprimer autrement : par l’écoute, la patience, la transmission des souvenirs.
Mais dites-moi… Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu peur d’en faire trop ou pas assez pour ceux que vous aimez ? Où est la juste limite entre donner et envahir ?