Entre la Foi et les Larmes : Mon Combat pour Maman
« Ne pars pas ce soir, Camille… J’ai peur. »
La voix de maman tremblait, accrochée à mon bras comme une enfant. Je regardais l’horloge de la cuisine : 22h13. Mon mari, Julien, m’attendait à la maison avec nos deux filles, mais comment partir ? Depuis que la maladie d’Alzheimer avait commencé à effacer des pans entiers de sa mémoire, chaque soir était une épreuve. Je sentais la colère monter en moi, mêlée à une culpabilité sourde. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
Je me suis assise à côté d’elle sur le vieux canapé, celui qui sentait la lavande et les souvenirs d’enfance. « Maman, je dois rentrer… Les filles ont école demain. » Elle a serré ma main plus fort. « Reste encore un peu, s’il te plaît… Je ne reconnais plus cette maison la nuit. »
J’ai fermé les yeux, priant intérieurement pour trouver la force. Depuis des mois, je jonglais entre mon poste d’infirmière à l’hôpital de Tours, mes responsabilités de mère et ce nouveau rôle d’aidante. Les journées s’étiraient, les nuits se raccourcissaient. Parfois, je me surprenais à envier mes collègues qui parlaient de leurs vacances ou de leurs sorties. Moi, je n’avais plus le temps de rêver.
Un soir, après une crise où maman avait tenté de sortir en pleine nuit, j’ai craqué devant Julien. « Je n’en peux plus ! Elle me vole ma vie… Je ne suis plus qu’une ombre ! » Il m’a prise dans ses bras, silencieux. Mais je voyais bien qu’il souffrait aussi de mon absence, que nos filles réclamaient leur mère.
La foi a toujours été présente dans ma vie, discrète mais solide. Petite, maman m’emmenait à la messe du dimanche dans notre village près de Loches. Aujourd’hui, c’est moi qui murmurais des prières dans la voiture, sur le chemin entre sa maison et la mienne : « Seigneur, donne-moi la patience… Ne me laisse pas tomber. »
Un matin d’hiver, alors que je préparais le petit-déjeuner chez elle, maman a renversé sa tasse de café brûlant sur la table. Elle s’est mise à pleurer comme une enfant perdue. « Je ne sais plus rien faire… Je suis un fardeau pour toi… » J’ai senti mon cœur se briser. Je me suis agenouillée devant elle : « Tu n’es pas un fardeau, maman. Tu es ma mère. » Mais au fond de moi, je doutais.
Les disputes avec mon frère Pierre sont devenues fréquentes. Il habite à Lyon et ne vient qu’un week-end par mois. « Tu dramatises tout, Camille ! On pourrait la placer en EHPAD… » J’ai explosé : « Tu ne comprends rien ! Elle a besoin de nous, pas d’une chambre impersonnelle ! » Mais parfois, l’idée d’un établissement me hantait aussi.
Un dimanche soir, alors que maman s’était endormie paisiblement après le chapelet, j’ai ouvert la fenêtre sur le jardin gelé. J’ai crié en silence ma fatigue et ma colère vers le ciel étoilé. Puis j’ai prié encore : « Aide-moi à tenir… Montre-moi que tout cela a un sens. »
Peu à peu, j’ai appris à demander de l’aide. Une assistante de vie venait deux fois par semaine ; les voisins prenaient parfois le relais pour les courses. À l’église, le père François m’a écoutée sans juger : « Vous portez une croix lourde, Camille… Mais vous n’êtes pas seule. »
Un soir d’été, alors que maman riait en regardant un vieil album photo – elle avait reconnu son père sur une image jaunie – j’ai ressenti une paix profonde. Peut-être que ma mission était là : offrir à maman des instants de douceur malgré la tempête.
Mais il y a eu des rechutes : des nuits blanches à la chercher dans le jardin, des appels paniqués à Julien parce qu’elle ne voulait plus manger. J’ai pleuré dans ma voiture sur le parking du supermarché, honteuse de souhaiter parfois que tout s’arrête.
Et puis il y a eu ce matin où maman m’a regardée droit dans les yeux : « Merci d’être là… Je t’aime, Camille. » J’ai compris alors que l’amour se tissait aussi dans la douleur et le sacrifice.
Aujourd’hui encore, je prie chaque soir pour tenir debout. Ma foi n’a pas effacé mes peurs ni mes colères, mais elle m’a donné la force d’avancer un jour après l’autre.
Est-ce que d’autres vivent ce même déchirement entre devoir et amour ? Comment continuer à aimer sans se perdre soi-même ?