Entre Deux Feux : Comment J’ai Survécu à un Mari Fils à Maman
— Tu pourrais prévenir avant d’inviter ta mère à dîner, Paul !
Ma voix tremble, mais Paul ne relève même pas les yeux de son téléphone. Il hausse les épaules, l’air absent, comme si je n’étais qu’un bruit de fond dans notre appartement de Lyon. Je serre les poings. Encore une fois, je vais devoir sourire à Madame Lefèvre, supporter ses remarques sur ma façon de cuisiner, sur la poussière sur l’étagère, sur la couleur de mes rideaux.
Je m’appelle Camille. J’ai trente-deux ans, et je croyais avoir épousé l’homme de ma vie. Mais je me suis trompée : j’ai épousé un fils à maman. Depuis trois ans, je vis entre deux feux. D’un côté, mon amour pour Paul, tendre et attentionné… du moins au début. De l’autre, la présence constante de sa mère, omniprésente, intrusive, qui s’immisce dans chaque recoin de notre vie.
Ce soir-là, alors que je dresse la table, j’entends la clé tourner dans la serrure. Paul bondit du canapé, tout sourire. « Maman ! » Il la serre dans ses bras comme un petit garçon. Elle me lance un regard froid, puis dépose un baiser sec sur ma joue. « Tu as changé la disposition du salon ? Ce n’est pas très feng shui, tu sais. »
Je ravale ma colère. Paul ne dit rien. Il ne dit jamais rien. Il laisse faire, il laisse dire. Je me sens invisible, effacée, comme si je n’étais qu’une invitée dans ma propre maison.
Les semaines passent, et rien ne change. Pire : tout empire. Madame Lefèvre vient tous les dimanches, parfois sans prévenir. Elle téléphone à Paul chaque matin, chaque soir. Elle lui apporte des plats, lave son linge, lui donne des conseils sur tout, même sur la façon de me parler. Un soir, alors que je rentre tard du travail, je trouve Paul et sa mère assis côte à côte sur le canapé, riant devant une vieille émission de variétés. Mon cœur se serre.
— Tu veux du gratin dauphinois, Camille ? demande-t-elle d’un ton mielleux.
Je secoue la tête. Je n’ai plus faim. Je n’ai plus envie de rien. Je me sens étrangère dans ma propre vie.
Un samedi, je craque. Je prends Paul à part, dans la chambre.
— Paul, il faut qu’on parle. Je n’en peux plus. Ta mère est partout, tout le temps. J’ai l’impression de ne pas exister. Tu ne me défends jamais. Tu ne me choisis jamais.
Il me regarde, perdu, comme un enfant pris en faute.
— Mais c’est ma mère, Camille… Elle veut juste nous aider.
— Non, Paul. Elle veut te garder pour elle. Et toi, tu la laisses faire. Tu ne coupes jamais le cordon.
Il baisse la tête. Je vois ses mains trembler. Il ne sait pas quoi répondre. Je comprends alors que je suis seule dans ce combat.
Les jours suivants, je me surprends à rêver d’une vie sans Paul, sans sa mère. Je me sens coupable, mais aussi soulagée à cette idée. Je parle à ma sœur, Élodie, qui me conseille de poser un ultimatum. « Il doit choisir, Camille. Tu ne peux pas continuer comme ça. »
Un dimanche, alors que Madame Lefèvre s’apprête à s’installer pour le déjeuner, je prends mon courage à deux mains.
— Madame Lefèvre, j’aimerais qu’on parle.
Elle me regarde, surprise. Paul se fige.
— Je vous écoute, Camille.
— J’aimerais que vous nous laissiez un peu d’espace. Paul et moi avons besoin de construire notre couple, sans interférence. Je vous demande de respecter notre intimité.
Un silence glacial s’abat sur la pièce. Paul rougit, sa mère pâlit.
— Tu entends ça, Paul ? Ta femme veut m’exclure de ta vie !
Paul ne dit rien. Il regarde ses mains, honteux. Je sens les larmes monter, mais je tiens bon.
— Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais j’ai besoin d’exister, moi aussi.
Madame Lefèvre se lève, furieuse, et claque la porte derrière elle. Paul me regarde, désemparé.
— Tu n’aurais pas dû lui parler comme ça…
— Et toi, tu n’aurais pas dû me laisser seule face à elle depuis tout ce temps !
Cette nuit-là, je dors mal. Je me demande si j’ai eu raison. Si je suis égoïste. Si l’amour, c’est vraiment ça : se battre pour une place qui devrait être évidente.
Les jours passent. Paul est distant. Il sort plus souvent, il évite la maison. Je me sens abandonnée, trahie. Un soir, il rentre tard, les yeux rougis.
— Je suis allé chez maman. Elle ne va pas bien. Elle dit que tu veux la séparer de moi.
Je soupire. Je n’ai plus la force de me battre.
— Paul, je t’aime. Mais je ne peux pas vivre à trois dans notre couple. J’ai besoin que tu grandisses, que tu fasses un choix.
Il ne répond pas. Il s’enferme dans la salle de bain. Je l’entends pleurer.
Quelques semaines plus tard, je décide de partir chez Élodie pour réfléchir. Paul ne me retient pas. Il m’envoie des messages, mais aucun ne parle de nous, seulement de sa mère, de sa tristesse, de son incompréhension.
Chez ma sœur, je retrouve un peu de paix. Je me rends compte à quel point je me suis oubliée, à quel point j’ai sacrifié mon bonheur pour un homme qui ne sait pas me choisir. Je commence une thérapie, j’apprends à poser des limites, à dire non.
Un soir, Paul m’appelle. Sa voix est brisée.
— Camille… Je crois que j’ai compris. J’ai besoin de toi. J’ai besoin de nous. Mais j’ai aussi peur de décevoir maman.
Je ferme les yeux. Je comprends sa douleur, mais je sais aussi que je ne peux pas vivre dans l’ombre d’une autre femme, même si c’est sa mère.
— Paul, je t’aime. Mais je ne peux plus être la deuxième femme de ta vie. Si tu veux qu’on avance, il faut que tu coupes le cordon. Sinon, je ne reviendrai pas.
Il ne répond pas tout de suite. Puis il murmure :
— Je vais essayer, Camille. Pour toi. Pour nous.
Aujourd’hui, je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. Peut-être que Paul trouvera la force de grandir, peut-être pas. Mais moi, j’ai retrouvé ma voix. J’ai compris que l’amour ne doit jamais rimer avec effacement.
Est-ce vraiment à nous, les femmes, de toujours porter le poids des familles ? Jusqu’où doit-on aller pour être aimées à notre juste valeur ?