Ce que j’ai entendu derrière la porte : trahison et vérité dans l’amitié
« Tu sais, franchement, la mère de Camille, elle est vraiment trop envahissante. Et son frère, il est bizarre, non ? »
Je suis restée figée derrière la porte entrouverte du salon. Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser. C’était la voix de Chloé, ma meilleure amie depuis le CP, celle qui connaissait tous mes secrets, qui riait avec moi dans la cour du collège Paul-Éluard à Tours. Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais.
J’étais rentrée plus tôt que prévu de mon cours de danse. Ma mère avait invité Chloé à dîner, comme souvent. Je montais les escaliers quand j’ai entendu mon prénom. Par réflexe, je me suis arrêtée. Et là, tout a basculé.
« Non mais tu vois pas ? Sa famille, c’est vraiment pas possible… Ils sont trop différents. »
J’ai senti mes jambes trembler. J’ai voulu entrer, hurler, mais je suis restée paralysée. J’ai entendu ma mère rire doucement, essayer de changer de sujet. Mais Chloé a continué :
« Camille fait genre qu’elle s’en fiche, mais elle est comme eux. Toujours à vouloir tout contrôler… »
Je suis montée dans ma chambre en silence. J’ai claqué la porte derrière moi, mais personne n’a réagi. J’ai pleuré longtemps, recroquevillée sur mon lit, le visage enfoui dans mon oreiller. Comment Chloé pouvait-elle dire ça ? Après tout ce qu’on avait partagé ?
Le dîner a été un supplice. Chloé souriait comme si de rien n’était. Ma mère me lançait des regards inquiets. Mon petit frère, Hugo, racontait ses histoires de foot sans se douter de rien. J’avais envie de crier, de tout balancer sur la table.
Après le repas, Chloé m’a suivie dans ma chambre.
— Tu fais la tête ?
— Non…
— T’es sûre ? On dirait que t’as vu un fantôme.
J’ai hésité. J’aurais pu lui dire ce que j’avais entendu. Mais j’avais peur de sa réaction. Peur qu’elle nie tout ou qu’elle me reproche d’avoir écouté aux portes.
— Je suis juste fatiguée.
Elle m’a prise dans ses bras. J’ai senti son parfum familier, celui qui me rassurait d’habitude. Mais ce soir-là, il m’a donné envie de vomir.
Quand elle est partie, j’ai explosé en larmes devant ma mère.
— Maman… Tu trouves qu’on est bizarres ?
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Rien… Laisse tomber.
Je n’ai pas dormi de la nuit. Les mots de Chloé tournaient en boucle dans ma tête. Le lendemain au lycée Balzac, je l’ai évitée toute la journée. Elle m’a envoyé des messages : « T’es où ? », « Tu m’en veux ? », « Dis-moi ce qui se passe ! »
J’ai fini par craquer et lui ai proposé qu’on se retrouve au bord de la Loire après les cours.
Le vent était glacial ce jour-là. Les feuilles mortes volaient autour de nous.
— Camille, tu vas me dire ce qui ne va pas ?
Je l’ai regardée droit dans les yeux.
— Hier… Je t’ai entendue parler avec ma mère.
Son visage a blêmi.
— Quoi ?
— Je t’ai entendue dire que ma famille était « pas possible », que j’étais comme eux…
Elle a détourné les yeux.
— Je… Je suis désolée. Je ne pensais pas ce que j’ai dit… Enfin si, mais… Je voulais juste faire rire ta mère, tu sais comment elle est…
— Non Chloé ! Tu l’as pensé sinon tu ne l’aurais pas dit !
Elle s’est mise à pleurer.
— Je me sens toujours à côté avec vous… Chez toi tout est parfait, tout le monde s’aime… Chez moi c’est le bordel ! Mes parents se disputent tout le temps… J’étais jalouse, voilà !
Je ne savais plus quoi dire. J’avais envie de la prendre dans mes bras et en même temps de lui hurler dessus.
— Tu aurais pu m’en parler… Pas besoin de casser du sucre sur mon dos !
Elle a hoché la tête en silence.
On est restées là longtemps sans parler. Le soleil se couchait sur la Loire et je sentais que quelque chose s’était brisé entre nous.
Les jours suivants ont été étranges. On se croisait au lycée sans se parler vraiment. Mes autres amis ont senti qu’il y avait un malaise mais personne n’osait poser de questions.
À la maison, je voyais ma famille autrement. J’étais plus attentive à leurs défauts, à leurs maladresses. Mais aussi à leur tendresse, à leur façon d’être là pour moi sans condition.
Un soir, mon père m’a dit :
— Tu sais Camille, les amis ça va ça vient… Mais la famille reste toujours.
Je ne sais pas si c’est vrai pour tout le monde. Mais ce soir-là, j’ai compris que même si on n’est pas parfaits, on s’aime comme on est.
Chloé et moi avons fini par nous reparler. Ce n’est plus comme avant. Il y a une fissure qui ne se refermera jamais complètement. Mais on essaie d’être honnêtes l’une avec l’autre maintenant.
Parfois je me demande : faut-il tout pardonner à une amie ? Peut-on vraiment oublier ce genre de trahison ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?