« Achète-toi tes propres courses et cuisine-toi, je ne peux plus te nourrir » : Le soir où tout a basculé dans mon mariage
« Achète-toi tes propres courses et cuisine-toi, je ne peux plus te nourrir. »
La phrase est sortie de ma bouche comme un cri, un coup de tonnerre dans la petite cuisine de notre appartement à Nantes. Paul, mon mari depuis quinze ans, s’est figé, la fourchette suspendue au-dessus de son assiette. Il m’a regardée comme si je venais d’annoncer la fin du monde. Mais pour moi, c’était la fin d’un monde : celui où je portais tout sur mes épaules, sans jamais rien demander.
« Tu plaisantes, là ? » Sa voix tremblait, entre colère et incompréhension.
Je n’ai pas répondu tout de suite. J’ai senti mes mains trembler. J’ai regardé autour de moi : la table dressée, les enfants qui chuchotaient dans le salon, la lumière jaune du plafonnier qui rendait tout un peu trop réel. J’ai pris une grande inspiration.
« Non, Paul. Je ne plaisante pas. Je n’en peux plus. »
C’est là que tout a explosé. Les mots sont sortis, les reproches accumulés depuis des années. « Tu ne fais jamais les courses, tu ne cuisines jamais, tu ne sais même pas où sont les torchons ! » Il s’est levé brusquement, la chaise raclant le carrelage.
« Mais enfin, tu exagères ! Je travaille toute la journée, moi ! »
J’ai ri, un rire amer. « Et moi alors ? Tu crois que rester à la maison avec deux enfants, c’est des vacances ? Tu crois que c’est facile de tout gérer ? »
Paul a haussé les épaules, l’air perdu. « Tu as toujours voulu t’occuper de la maison… »
Cette phrase m’a transpercée. Oui, j’avais choisi d’arrêter de travailler après la naissance de Camille. Mais ce n’était pas pour devenir sa bonne. Je me suis revue, jeune et amoureuse, rêvant d’une vie simple et heureuse. Mais la réalité s’était imposée : les couches, les lessives, les repas à préparer, les rendez-vous chez le médecin… Et Paul qui rentrait tard, fatigué, s’installant devant la télé pendant que je terminais de ranger la cuisine.
Ce soir-là, j’ai tout déballé. Les soirs où j’avais pleuré en silence parce qu’il n’avait même pas remarqué ma fatigue. Les anniversaires oubliés. Les « ça va ? » lancés machinalement sans attendre la réponse. J’ai parlé des nuits blanches avec les enfants malades, des réunions parents-profs où j’étais toujours seule.
Paul s’est défendu : « Tu ne m’as jamais rien demandé ! »
C’est vrai. J’avais cru qu’il comprendrait tout seul. Qu’il verrait mon épuisement dans mes yeux cernés, qu’il entendrait mes soupirs quand je ramassais ses chaussettes sales.
Le lendemain matin, il est parti au travail sans un mot. J’ai passé la journée à tourner en rond dans l’appartement silencieux. Camille et Hugo étaient à l’école. J’ai ouvert le frigo : presque vide. J’ai pensé à ce que j’allais faire pour le dîner… puis je me suis arrêtée net. Non. Ce soir, il se débrouillerait.
Quand il est rentré, il a trouvé une note sur la table : « Il y a des pâtes dans le placard et du fromage dans le frigo. Bonne chance. »
Il a râlé, bien sûr. Mais il a fait cuire les pâtes. Les enfants ont trouvé ça drôle : « Papa cuisine ! » Camille a même pris une photo pour l’envoyer à sa marraine.
Les jours suivants ont été tendus. Paul boudait, moi aussi. Les enfants sentaient la tension mais n’osaient rien dire. Un soir, Hugo m’a demandé : « Maman, pourquoi tu cries sur papa ? » J’ai eu envie de pleurer.
J’ai commencé à sortir seule : un café avec une amie, une balade au bord de l’Erdre. J’ai retrouvé Claire, une ancienne collègue qui m’a parlé de son boulot à mi-temps dans une librairie du centre-ville. Elle m’a dit : « Tu sais, tu pourrais postuler… »
L’idée a fait son chemin. J’en ai parlé à Paul un soir où il semblait plus calme.
« Je pense reprendre un travail », ai-je dit doucement.
Il a haussé les sourcils : « Mais… qui va s’occuper des enfants ? »
J’ai senti la colère monter à nouveau mais j’ai respiré profondément.
« Nous deux, Paul. Nous deux. »
Il n’a rien répondu mais j’ai vu dans ses yeux qu’il comprenait enfin ce que je voulais dire.
Les semaines ont passé. J’ai décroché un entretien à la librairie et j’ai été prise pour quelques heures par semaine. Paul a commencé à faire les courses le samedi matin avec Hugo pendant que je travaillais. Il a appris à préparer des crêpes – pas aussi bonnes que les miennes mais les enfants étaient ravis.
Petit à petit, l’équilibre s’est installé – fragile mais réel. Nous avons appris à parler autrement : moins de reproches, plus d’écoute (même si ce n’est pas parfait). Un soir, alors que nous dînions tous ensemble autour d’une quiche faite par Paul (trop salée mais pleine d’amour), il m’a pris la main sous la table.
« Je suis désolé », a-t-il murmuré.
J’ai souri tristement : « Moi aussi… »
Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. Parfois j’ai peur que tout s’effondre à nouveau. Mais je sais une chose : je ne veux plus jamais m’oublier pour quelqu’un d’autre.
Est-ce qu’on peut aimer sans se sacrifier ? Où est la limite entre donner et se perdre soi-même ? Vous aussi, vous vous êtes déjà posé ces questions ?