Vivre sur des nouilles et de l’eau : Mon combat pour les mettre dehors
« Vous croyez que je vais encore supporter ça longtemps ?! » Ma voix résonne dans la cuisine, brisant le silence pesant du soir. Paul, mon aîné de vingt-huit ans, lève à peine les yeux de son téléphone. Antoine, son cadet de vingt-cinq ans, soupire et s’enfonce un peu plus dans le canapé. Je serre les poings, sentant la colère et la tristesse monter en moi comme une vague prête à tout emporter.
Depuis que j’ai pris ma retraite anticipée de la Poste, je rêvais de calme, de balades au parc Monceau, de cafés partagés avec mes amies. Mais la réalité est tout autre : je vis avec deux adultes qui ne paient ni loyer ni courses, qui laissent traîner leurs chaussettes sales et vident le frigo plus vite que je ne peux le remplir. Je me retrouve à manger des nouilles instantanées pour économiser, pendant qu’eux commandent des pizzas avec l’argent de leurs petits boulots précaires.
« Maman, t’exagères… On va partir, mais là c’est pas le moment », marmonne Paul sans conviction. Je sens mes yeux se remplir de larmes. Ce n’est pas la première fois qu’on a cette discussion. Depuis le divorce avec leur père, il y a dix ans, j’ai tout fait pour qu’ils ne manquent de rien. Mais aujourd’hui, je me sens trahie par leur inertie, leur incapacité à prendre leur envol.
Je repense à la réunion avec ma conseillère retraite : « Vous avez assez cotisé pour partir maintenant, mais attention à votre budget… » J’avais souri, confiante. J’avais prévu de voyager en Bretagne, d’apprendre l’italien, de m’inscrire à l’aquarelle. Mais comment faire quand chaque mois je dois choisir entre payer l’électricité ou remplir le frigo ?
Le lendemain matin, je trouve Antoine affalé devant la télé. « Tu cherches du travail aujourd’hui ? » Il hausse les épaules. « Y a rien… »
Je m’assois en face de lui. « Tu sais Antoine, j’ai besoin que tu comprennes… Je ne peux plus continuer comme ça. Je veux vivre pour moi maintenant. »
Il détourne les yeux. « Tu veux qu’on parte ? »
Je prends une grande inspiration. « Oui. Il faut que vous partiez tous les deux. Je vous aime, mais je ne peux plus être votre solution de secours. »
Le soir même, Paul rentre avec un sac plastique rempli de bières. Je sens la colère monter à nouveau.
« Tu crois que c’est normal ?! Tu as presque trente ans ! »
Il explose : « Tu crois que c’est facile dehors ? Avec nos salaires de misère ? Les loyers à Paris ? Tu veux qu’on dorme sous les ponts ? »
Je fonds en larmes. « Non… Mais je veux juste que vous essayiez ! Que vous arrêtiez de tout attendre de moi ! »
Les jours passent dans une tension insupportable. Je me surprends à rêver d’une maison vide, silencieuse, où je pourrais enfin lire sans être interrompue par des éclats de voix ou le bruit des jeux vidéo.
Un dimanche matin, ma sœur Françoise passe prendre un café. Elle me regarde droit dans les yeux : « Sylvie, tu dois penser à toi maintenant. Ils ne partiront jamais si tu ne les pousses pas dehors. »
Je hoche la tête, honteuse d’avoir besoin d’entendre ça.
Le soir même, je convoque mes fils dans le salon.
« J’ai pris une décision. Vous avez trois mois pour trouver un logement. Je vous aiderai pour la caution si besoin, mais après… ce sera à vous de jouer. »
Paul se lève brusquement : « Tu nous vires ?! »
Antoine murmure : « On n’est pas prêts… »
Je retiens mes larmes. « Moi non plus je n’étais pas prête quand j’ai dû élever deux enfants seule avec un SMIC… Mais je l’ai fait. Vous pouvez le faire aussi. »
Les semaines suivantes sont un mélange d’espoir et de culpabilité. Paul trouve une colocation à Montreuil avec deux amis d’enfance ; Antoine décroche un CDD dans une librairie et s’installe dans un studio minuscule du 18ème arrondissement.
Le jour où ils partent enfin, la maison me semble immense et vide. Je m’assois sur le canapé et laisse couler mes larmes — des larmes de soulagement autant que de tristesse.
Quelques jours plus tard, Paul m’appelle : « Maman… Merci. Sans ton coup de pied aux fesses, on serait encore là à rien faire… »
Je souris à travers mes larmes.
Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je été trop dure ? Ou bien est-ce ça, aimer ses enfants — leur donner des racines mais aussi des ailes ? Qu’en pensez-vous ?