Un nouveau départ : L’histoire de Camille et sa quête d’un foyer

« Tu n’es pas notre fille, Camille. » La voix de Madame Lefèvre résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme une lame. J’ai dix-sept ans, assise sur le lit étroit de ma chambre au foyer Saint-Exupéry, les poings serrés sur mes genoux. Je viens d’être renvoyée de ma famille d’accueil, encore une fois. Je me répète ces mots, comme pour m’en convaincre : je ne suis la fille de personne.

La nuit tombe sur Lyon, les lumières de la ville clignotent derrière la fenêtre. Dans le couloir, j’entends les autres enfants rire, jouer, se chamailler. Moi, je reste là, immobile, le cœur en miettes. Pourquoi personne ne veut de moi ? Qu’est-ce qui cloche chez moi ?

Le lendemain matin, la directrice du foyer frappe à ma porte. « Camille, viens, il y a un couple qui veut te rencontrer. » Je me lève sans conviction. À quoi bon ? Je connais la chanson : ils viendront, ils poseront des questions, ils souriront poliment, puis ils repartiront sans moi.

Dans le salon du foyer, Claire et François m’attendent. Elle a les cheveux châtains relevés en chignon, lui porte des lunettes rondes et un pull bleu marine. Ils me regardent avec une douceur qui me déstabilise. Claire me tend la main : « Bonjour Camille. On est très heureux de te rencontrer. »

Je baisse les yeux. « Bonjour. »

François sourit : « On sait que ce n’est pas facile. Mais si tu veux bien, on aimerait apprendre à te connaître. »

Je sens une boule dans ma gorge. J’ai envie d’y croire, mais la peur me ronge. Et s’ils finissent par me rejeter eux aussi ?

Les semaines passent. Claire et François viennent me voir tous les mercredis après-midi. On va se promener sur les quais du Rhône, on mange des crêpes dans une petite brasserie du Vieux Lyon. Petit à petit, je m’ouvre à eux. Je leur raconte mes rêves, mes peurs, mes souvenirs d’enfance volés par l’abandon.

Un soir, alors qu’on rentre au foyer après une sortie au cinéma, Claire s’arrête devant la porte : « Camille… Est-ce que tu aimerais venir vivre chez nous ? »

Je reste figée. Mon cœur bat à tout rompre. J’ai envie de hurler oui, mais la voix de Madame Lefèvre me hante encore : « Tu n’es pas notre fille. »

Je murmure : « Et si je ne vous plais pas ? Si je fais des bêtises ? »

François pose une main rassurante sur mon épaule : « On ne te demande pas d’être parfaite. On veut juste que tu sois toi-même. »

J’accepte. Le jour du déménagement arrive vite. Je quitte le foyer avec une valise cabossée et un sac à dos usé. Les éducateurs me serrent dans leurs bras, certains pleurent même un peu. Je monte dans la voiture de Claire et François, le cœur serré entre la peur et l’espoir.

Leur appartement est lumineux, rempli de livres et de plantes vertes. Il y a une chambre rien que pour moi, avec des murs blancs et une couette jaune soleil. Sur la porte, un petit panneau : « Bienvenue Camille ». Je sens les larmes monter.

Au début, tout est étrange. Je n’ose pas ouvrir le frigo sans demander la permission. Je fais mon lit au carré chaque matin, comme au foyer. La nuit, je me réveille en sursaut, persuadée que tout cela n’est qu’un rêve.

Mais Claire est patiente. Elle m’apprend à cuisiner des gratins dauphinois et des tartes aux pommes. François m’emmène voir des matchs de foot à Gerland et m’explique les règles avec passion. Ils m’écoutent quand je parle de mes angoisses, ils ne se moquent jamais de mes silences.

Un soir d’hiver, alors que la neige tombe sur les toits de Lyon, une dispute éclate à table. J’ai eu une mauvaise note en maths et je crains leur réaction.

« Tu pourrais faire un effort ! » dis-je brusquement à Claire.

Elle me regarde avec tristesse : « Camille… On ne t’en veut pas pour une note. Ce qui compte pour nous, c’est que tu sois heureuse ici. »

Je fonds en larmes : « Et si vous finissez par me renvoyer comme les autres ? »

François se lève et me prend dans ses bras : « On ne t’abandonnera pas, Camille. Tu fais partie de notre famille maintenant. »

Peu à peu, j’apprends à leur faire confiance. Mais tout n’est pas simple : il y a les regards des voisins qui chuchotent sur « la fille adoptée », les papiers administratifs interminables, les souvenirs douloureux qui ressurgissent parfois sans prévenir.

Un jour, au lycée, une camarade me lance : « T’es même pas leur vraie fille ! » Je rentre chez moi en pleurant, persuadée que je ne serai jamais vraiment acceptée.

Claire me serre contre elle : « Tu es notre fille parce qu’on t’a choisie et qu’on t’aime. Peu importe ce que disent les autres. »

Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. Mais chaque matin, quand je descends prendre mon petit-déjeuner et que je vois Claire sourire en préparant le café, je sens que j’ai enfin trouvé ma place.

Est-ce qu’on peut vraiment guérir des blessures de l’abandon ? Est-ce que l’amour suffit pour reconstruire une famille ? Qu’en pensez-vous ?