Un Noël sous tension : le souffle retrouvé de mon fils
— Il ne respire pas !
Le cri de l’infirmière a déchiré la salle d’accouchement comme un coup de tonnerre. J’ai senti mes jambes se dérober sous moi, alors que je venais à peine de pousser une dernière fois, épuisée, trempée de sueur et d’angoisse. Ma mère, assise dans le couloir, a hurlé mon prénom :
— Camille ! Qu’est-ce qui se passe ?
Mais personne ne lui répondait. Les médecins s’agitaient autour du petit corps inerte de mon fils, Jules. Je n’entendais plus rien, sinon le bourdonnement sourd de la peur qui me broyait la poitrine. Noël. Ce devait être la plus belle nuit de ma vie. Au lieu de cela, je regardais les lèvres bleues de mon bébé, ses petits poings fermés sur le vide.
— On tente une réanimation !
Le médecin, le docteur Lefèvre, avait la voix ferme mais je voyais ses mains trembler. Il y avait dans ses yeux une détresse qu’il essayait de cacher derrière son masque chirurgical. Ma compagne, Sophie, était blême, agrippée à ma main comme à une bouée. Elle murmurait :
— Il va s’en sortir, il va s’en sortir…
Mais moi, je n’y croyais plus. J’avais déjà perdu un enfant, il y a deux ans. Une fausse couche à trois mois. Depuis, chaque nuit était hantée par la peur de revivre ce cauchemar. Et voilà que le sort s’acharnait encore.
Ma mère a forcé la porte. Elle s’est précipitée vers moi, ignorant les protestations des sages-femmes.
— Camille, regarde-moi ! Il va revenir, tu m’entends ? Tu dois y croire !
Je voulais hurler que je n’y croyais plus, que tout était fini. Mais je n’avais plus de voix.
Le temps s’est figé. Les minutes s’étiraient comme des heures. Les gestes des médecins devenaient mécaniques : massage cardiaque, oxygène, injections… Je voyais les regards échangés, les sourcils froncés, la sueur sur leurs fronts. Puis soudain, un cri. Un tout petit cri rauque, fragile comme une brindille sous la neige.
— Il respire !
Un souffle de vie venait d’entrer dans la pièce glacée. J’ai éclaté en sanglots, Sophie aussi. Ma mère s’est effondrée à genoux en murmurant des prières qu’elle n’avait pas récitées depuis l’enfance.
On a posé Jules sur ma poitrine. Il était si minuscule, si chaud contre moi malgré tout ce froid autour. Je sentais son cœur battre faiblement sous ma main tremblante.
Les jours suivants ont été un tourbillon d’examens et d’inquiétudes à l’hôpital Necker à Paris. Les médecins ne comprenaient pas comment il avait pu revenir à la vie après tant de minutes sans battement cardiaque. On parlait de séquelles possibles, d’incertitudes sur son avenir.
Ma belle-famille est venue nous voir. Le père de Sophie, un homme bourru du Nord, a fondu en larmes devant l’incubateur.
— Je n’ai jamais cru aux miracles… mais là…
Ma sœur Élodie est arrivée avec ses deux enfants. Elle a voulu me réconforter :
— Tu sais, Camille, parfois la vie nous surprend… Mais tu dois être forte pour Jules maintenant.
Mais comment être forte quand on ne dort plus ? Quand chaque bip des machines vous arrache le cœur ? Quand on se dispute avec sa compagne parce que la peur vous rend injuste ? Sophie et moi avons failli nous séparer cette semaine-là. Elle m’a reproché de ne pas croire assez en notre fils ; je lui ai reproché de fuir dans le travail pour ne pas affronter la réalité.
— Tu crois que c’est facile pour moi ?! a-t-elle crié un soir dans la chambre d’hôpital.
— On aurait dû adopter… On n’est pas faites pour ça !
Je lui ai lancé un regard noir.
— Tu regrettes Jules ?
— Non ! Mais j’ai peur…
On s’est serrées fort l’une contre l’autre en pleurant toutes les deux.
La veille du Nouvel An, le pédiatre est venu nous voir avec un sourire fatigué.
— Vous pouvez rentrer chez vous demain. Jules va bien. Il faudra surveiller son développement mais… il est là.
Je n’y croyais pas. J’ai regardé mon fils dormir dans son petit pyjama bleu offert par ma mère. J’ai pensé à tous ces parents qui n’ont pas eu notre chance. À tous ces Noëls endeuillés dans les couloirs des hôpitaux français.
De retour à la maison à Montreuil, tout semblait différent. Les décorations de Noël étaient restées accrochées malgré tout. Ma mère avait préparé une bûche maison et allumé des bougies pour « remercier le ciel ». Mon père, d’habitude si discret sur ses émotions, a pris Jules dans ses bras et murmuré :
— Petit miracle…
Mais la vie ne reprend jamais vraiment comme avant après un tel choc. Je fais des cauchemars où Jules cesse de respirer dans son sommeil ; je vérifie son berceau dix fois par nuit. Sophie et moi allons voir une psychologue familiale pour apprendre à vivre avec cette peur qui ne partira jamais tout à fait.
Parfois je me demande : pourquoi nous ? Pourquoi Jules a-t-il eu droit à une seconde chance alors que tant d’autres enfants n’en ont pas ? Est-ce la science ? Le hasard ? Ou bien quelque chose qui nous dépasse tous ?
Et vous… croyez-vous aux miracles ou pensez-vous que tout n’est qu’une question de statistiques et de hasard ?