Sous le même toit : L’épreuve de vivre avec ma belle-mère

— Tu comptes vraiment laisser traîner tes chaussures dans l’entrée, Mia ?

La voix de Françoise, ma belle-mère, résonne dans le couloir exigu de son appartement du 15ème arrondissement. Je serre les dents. Ce n’est que la troisième fois cette semaine qu’elle me fait la remarque. J’ai envie de lui répondre, mais je me retiens. Je jette un regard à Jérôme, mon mari, qui s’empresse de ramasser mes baskets comme s’il pouvait effacer la tension d’un simple geste.

Nous sommes venus ici « temporairement », le temps d’économiser pour acheter notre propre appartement. Mais après six mois, je commence à douter que ce jour arrive un jour. Chaque matin, je me réveille avec l’impression d’être une intruse dans ma propre vie. Françoise a ses habitudes, ses horaires, ses règles tacites. Elle ne supporte pas qu’on cuisine après 20h, que l’on prenne une douche trop longue ou que l’on regarde la télévision trop fort. Et surtout, elle ne supporte pas que je prenne trop de place auprès de son fils.

Un soir, alors que Jérôme est encore au travail, je me retrouve seule avec elle dans la cuisine. Elle prépare sa soupe aux poireaux et moi, j’essaie de me faire discrète en rangeant la vaisselle.

— Tu sais, Mia, commence-t-elle sans lever les yeux de sa casserole, Jérôme n’a jamais aimé les femmes désordonnées.

Je sens le rouge me monter aux joues. Je voudrais lui dire que son fils n’est plus un enfant, qu’il a choisi de m’épouser, moi. Mais je ravale mes mots. Je sais que Jérôme déteste les conflits et qu’il préfère fuir plutôt que de prendre parti.

Les semaines passent et la tension monte. Les petites remarques deviennent des piques, puis des disputes à voix basse dans notre minuscule chambre. Un soir, alors que je pleure en silence sous la couette, Jérôme me prend la main.

— Je sais que c’est dur… Mais on n’a pas le choix pour l’instant. On va y arriver, je te le promets.

Mais sa promesse sonne creux. Chaque jour, je sens notre couple s’effriter un peu plus sous le poids des compromis et des non-dits. Je me surprends à compter les jours jusqu’à la prochaine visite chez mes parents à Lyon, juste pour respirer un peu.

Un dimanche matin, tout explose. Françoise découvre que j’ai utilisé sa serviette de toilette par erreur. Elle entre dans notre chambre sans frapper.

— C’est incroyable ! Tu ne respectes rien ici ! Même pas mes affaires personnelles !

Jérôme tente d’intervenir :

— Maman, ce n’est pas grave…

Mais elle l’interrompt sèchement :

— Si tu avais épousé une femme un peu plus soigneuse…

Je craque. Je me lève d’un bond :

— Ça suffit ! Je ne suis pas venue ici pour être humiliée tous les jours !

Le silence tombe comme une chape de plomb. Françoise quitte la pièce en claquant la porte. Jérôme me regarde, désemparé.

— Tu ne comprends pas… Elle a toujours été comme ça avec moi aussi…

Je réalise alors que ce n’est pas seulement mon combat. Jérôme est pris en étau entre sa mère possessive et moi, sa femme qui étouffe.

Les jours suivants sont glacials. Plus un mot à table. Chacun évite l’autre dans le couloir. Je commence à chercher des studios sur Leboncoin en cachette. Un soir, je montre une annonce à Jérôme.

— On pourrait louer ça quelques mois… Même si c’est petit…

Il hésite longuement avant de répondre :

— Mais on n’aura plus assez pour l’apport…

Je sens les larmes monter :

— Et si on n’a plus rien du tout ? Si on se perd à force d’attendre ?

Il baisse les yeux. Je comprends qu’il a peur, lui aussi. Peur de décevoir sa mère, peur de me perdre.

Quelques jours plus tard, alors que je rentre du travail plus tôt que prévu, j’entends Françoise parler au téléphone dans le salon :

— Oui, elle est gentille mais elle ne sera jamais assez bien pour lui…

Je m’effondre sur le palier. J’ai envie de partir sur-le-champ mais je n’ai nulle part où aller.

Le lendemain matin, je pose un ultimatum à Jérôme :

— C’est elle ou moi. Je ne peux plus vivre comme ça.

Il passe la nuit dehors à marcher dans Paris. À son retour, il a les yeux rougis.

— On part. On trouvera une solution ensemble.

Nous avons quitté l’appartement de Françoise deux semaines plus tard pour un studio minuscule à Malakoff. Nous avons mangé des pâtes pendant des mois et repoussé notre projet d’achat indéfiniment. Mais chaque soir, en fermant la porte derrière nous, j’ai senti un poids s’envoler.

Aujourd’hui encore, je me demande : combien de couples survivent vraiment à cette épreuve ? Jusqu’où faut-il aller pour préserver son amour sans se perdre soi-même ?