Six enfants sous le même toit : le choix qui a bouleversé ma vie
« Tu ne peux pas faire ça, Claire ! Six enfants ? Tu vas t’épuiser, tu vas tout perdre ! »
La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, tranchante, presque cruelle. Mais ce soir-là, alors que je serre contre moi Camille et Hugo, les deux enfants de Vincent, je sais que je n’ai pas le choix. Leur père vient de mourir, emporté par ce cancer qui l’a rongé en quelques mois. Leur mère ? Partie depuis des années, disparue dans la nature. Ils n’ont plus personne. Sauf moi.
Je me souviens du silence pesant dans l’appartement de Vincent, juste à côté du nôtre, rue des Lilas à Angers. Les jouets traînent encore dans le salon, la vaisselle sale s’entasse dans l’évier. Camille, 8 ans, s’accroche à ma main comme à une bouée. Hugo, 12 ans, ne pleure pas. Il fixe le mur, les yeux vides. Je sens la panique monter en moi : comment vais-je faire ?
Chez nous, c’est déjà la pagaille avec mes quatre enfants : Léa, l’aînée de 15 ans, rebelle et secrète ; Paul, 13 ans, passionné de foot ; Manon, 10 ans, hypersensible ; et le petit dernier, Lucas, 6 ans, qui réclame encore des câlins la nuit. Mon mari ? Parti depuis deux ans pour refaire sa vie à Bordeaux. Je gère tout seule.
Le lendemain matin, je me rends à la mairie. L’assistante sociale me regarde avec des yeux ronds :
— Vous êtes sûre de vouloir accueillir deux enfants de plus ?
Je hoche la tête sans hésiter. « Ils n’ont nulle part où aller. »
Les premiers jours sont un chaos total. Les cris fusent à la maison :
— Ce n’est pas ta chambre !
— Maman, il a pris mon cahier !
— Je veux rentrer chez moi !
Léa me lance des regards noirs. Un soir, elle explose :
— Pourquoi tu fais ça ? On n’a déjà rien ! Tu crois que t’es une sainte ?
Je m’effondre dans la cuisine après qu’elle claque la porte. Je me sens coupable : ai-je le droit d’imposer ce fardeau à mes propres enfants ?
Mais chaque matin, Camille se glisse dans mes bras pour un câlin silencieux. Hugo commence à parler avec Paul de foot et de jeux vidéo. Petit à petit, une routine s’installe. Je découvre que Manon console Camille quand elle pleure la nuit. Lucas partage ses jouets avec Hugo.
Un soir d’hiver, alors que je plie le linge dans le salon, Léa s’approche timidement :
— Tu crois qu’on va y arriver ?
Je souris faiblement :
— Je ne sais pas… Mais on va essayer ensemble.
Les difficultés ne disparaissent pas pour autant. Les factures s’accumulent. Je dois demander une aide exceptionnelle à la CAF. Les voisins murmurent : « Elle est folle… » Certains amis s’éloignent. Mais d’autres se rapprochent : Mme Dupuis du troisième m’apporte des plats cuisinés ; le boulanger du coin offre des viennoiseries pour les goûters.
Un jour, l’école appelle : Hugo s’est battu avec un camarade qui s’est moqué de son père mort. Je cours le chercher. Dans la voiture, il éclate enfin en sanglots :
— Pourquoi c’est nous ? Pourquoi il est mort ?
Je n’ai pas de réponse. Je pose ma main sur son épaule :
— Je ne sais pas… Mais tu n’es pas seul.
Les mois passent. On apprend à vivre ensemble. À partager l’espace, le temps, l’amour aussi. Les anniversaires deviennent des fêtes bruyantes et colorées. Les disputes sont toujours là, mais il y a aussi des éclats de rire.
Un soir d’été, alors que tout le monde dort enfin, je m’assois sur le balcon et regarde les lumières d’Angers. Je pense à Vincent, à sa gentillesse discrète, à ses enfants qui dorment maintenant sous mon toit.
Ai-je fait le bon choix ? Suis-je assez forte pour eux tous ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?