Seule contre tous : Mon combat pour devenir mère

« Tu ne comprends donc pas, Anne ? Ce n’est pas naturel ! » La voix de ma mère résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, tentant de retenir mes larmes. Mon père détourne le regard, gêné, tandis que ma sœur Camille fixe obstinément son téléphone. Je suis seule, terriblement seule, face à leur incompréhension.

Tout a commencé il y a deux ans, dans ce cabinet médical impersonnel du centre-ville de Lyon. Le docteur Lefèvre a posé son diagnostic d’une voix douce mais implacable : « Madame Dubois, votre réserve ovarienne est très basse. Il sera difficile, voire impossible, d’avoir un enfant naturellement. » J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds. J’avais 36 ans, célibataire depuis peu après une rupture douloureuse avec Julien, et je rêvais d’un enfant plus que tout au monde.

Les mois qui ont suivi ont été un long tunnel de tristesse et d’angoisse. Je voyais mes amies tomber enceintes les unes après les autres, publier des photos de leurs ventres ronds sur Instagram, organiser des baby showers où je n’étais plus qu’une invitée silencieuse. Je souriais pour elles, mais chaque sourire me coûtait un peu plus cher.

Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres de mon petit appartement du 7ème arrondissement, j’ai pris une décision. Je ne voulais plus attendre un homme pour réaliser mon rêve. J’ai commencé à me renseigner sur la PMA pour femmes seules en France. Les forums étaient remplis de témoignages contradictoires : certaines parlaient d’espoir, d’autres de parcours du combattant.

J’ai pris rendez-vous à l’hôpital Edouard-Herriot. La première consultation a été un choc : « Vous savez que ce ne sera pas facile, madame Dubois. Le parcours est long, il y aura des échecs, des attentes interminables… » Mais j’étais déterminée. J’ai rempli les dossiers administratifs, passé les examens médicaux humiliants, subi les piqûres quotidiennes d’hormones qui me donnaient des bouffées de chaleur et des sautes d’humeur incontrôlables.

Ma famille n’a rien compris. « Tu veux vraiment élever un enfant toute seule ? » s’est exclamée ma sœur lors d’un déjeuner dominical. « Et si tu n’y arrives pas ? Tu vas gaspiller tout ton argent pour rien ! » Mon père s’est contenté d’un soupir résigné : « On ne peut pas aller contre la nature… »

J’ai pleuré dans ma voiture en rentrant chez moi ce jour-là. Mais au fond de moi, une petite voix murmurait : « Tiens bon. »

Les semaines se sont transformées en mois. Les tentatives se sont succédé : insémination artificielle, puis FIV. À chaque prise de sang, mon cœur battait la chamade. À chaque échec, je sombrais un peu plus dans le désespoir. Un soir, après une nouvelle annonce négative du laboratoire, j’ai craqué devant mon amie Sophie :

— J’en peux plus… Je me sens vide. Pourquoi moi ?
— Parce que tu es forte, Anne. Et parce que tu le veux vraiment.

Sophie a été mon roc. Elle m’a accompagnée à chaque rendez-vous important, m’a apporté des plats faits maison quand je n’avais plus la force de cuisiner, a essuyé mes larmes sans jamais me juger.

Un matin de mai, alors que je n’y croyais plus vraiment, le test est enfin positif. Je suis restée figée devant la petite bandelette rose pendant de longues minutes. J’ai éclaté en sanglots, seule dans ma salle de bain. J’ai appelé Sophie en hurlant de joie et de peur à la fois.

Mais la joie a vite laissé place à l’angoisse : comment annoncer cette grossesse à ma famille ? Comment affronter les regards dans le quartier ? À la boulangerie du coin, Madame Martin m’a lancé un sourire entendu : « Alors Anne, toujours pas mariée ? » J’ai eu envie de lui crier que je portais la vie en moi malgré tout.

Le jour où j’ai annoncé ma grossesse à mes parents reste gravé dans ma mémoire. Ma mère a blêmi :

— Mais… comment as-tu fait ?
— Avec l’aide de la médecine et beaucoup de courage.

Un silence glacial s’est installé. Mon père a quitté la pièce sans un mot. Ma sœur a murmuré :

— Tu es vraiment prête à tout affronter seule ?

Oui. Oui, je l’étais.

Les mois suivants ont été faits de hauts et de bas. Les nausées matinales, les rendez-vous médicaux en solo, les nuits blanches à imaginer l’avenir… Mais aussi les premiers coups du bébé dans mon ventre, les achats compulsifs de petits vêtements jaunes et verts (je ne voulais pas connaître le sexe), et les discussions interminables avec Sophie sur le prénom parfait.

À huit mois de grossesse, j’ai enfin senti un changement chez mes parents. Ma mère m’a appelée un soir :

— Tu as choisi un prénom ?
— Pas encore…
— Tu sais… on sera là si tu as besoin d’aide.

J’ai pleuré comme une enfant ce soir-là.

Aujourd’hui, alors que je tiens mon fils Paul dans mes bras pour la première fois à la maternité de Lyon Sud, je repense à tout ce chemin parcouru seule contre tous. À toutes ces nuits d’angoisse et d’espoir mêlés.

Ai-je eu raison de défier les conventions ? Est-ce qu’une femme seule peut vraiment offrir tout l’amour dont un enfant a besoin ? Et vous… qu’en pensez-vous ?