Sans prévenir ma femme, j’ai invité ma mère à rencontrer notre fille… et tout a basculé
« Tu n’aurais pas dû faire ça, François. »
La voix de Camille tremble, mais elle ne crie pas. Elle serre notre petite Lucie contre elle, comme si elle pouvait la protéger de tout, même de moi. Je reste planté dans l’entrée, incapable de bouger, alors que ma mère, Monique, pose son manteau sur le dossier du canapé, un sourire crispé aux lèvres.
Je revois la scène encore et encore : le SMS que j’ai envoyé à Maman, sans prévenir Camille. Je voulais juste lui faire plaisir, lui présenter sa petite-fille. Mais je savais aussi que Camille avait besoin de temps, qu’elle voulait qu’on soit seuls pour les premiers jours. Je me suis dit que ça irait, que Maman saurait se tenir. Quelle naïveté…
« Camille, tu exagères », intervient Maman d’un ton sec. « Je suis la grand-mère, j’ai bien le droit de voir Lucie ! »
Camille ne répond pas. Elle détourne les yeux, les larmes aux cils. Je sens la tension monter, l’air devient irrespirable. Monique s’approche du berceau et tend les bras vers Lucie.
« Donne-la-moi, voyons ! »
Camille recule d’un pas. « Non. Pas maintenant. »
Le silence tombe, lourd comme une chape de plomb. Je voudrais disparaître. J’entends encore mon père me dire, quand j’étais petit : « Ta mère n’aime pas qu’on lui dise non. » Mais là, c’est ma femme qui dit non, et c’est moi qui ai créé ce chaos.
Maman se tourne vers moi, furieuse : « Tu ne dis rien ? Tu la laisses me parler comme ça ? »
Je balbutie : « Maman… Camille vient d’accoucher… Elle est fatiguée… »
Elle me coupe : « Tu prends toujours son parti ! Depuis qu’elle est là, tu n’es plus le même ! »
Camille éclate en sanglots. Lucie se met à pleurer aussi. Je voudrais prendre ma femme dans mes bras, mais elle me repousse.
« Tu m’as trahie », murmure-t-elle.
Je sens mon cœur se briser. J’ai voulu bien faire, mais j’ai tout gâché.
Les jours suivants sont un enfer. Maman s’installe chez nous comme si de rien n’était. Elle critique tout : la façon dont Camille allaite Lucie (« Tu es sûre qu’elle mange assez ? »), la température de la chambre (« Il fait trop chaud ici ! »), même la décoration (« Ce papier peint est déprimant… »). Camille s’enferme dans la chambre avec Lucie dès que possible. Moi, je fais semblant de ne rien voir.
Un soir, alors que je rentre du travail plus tôt que prévu, j’entends des éclats de voix dans la cuisine.
« Vous n’avez jamais voulu de moi dans cette famille ! » crie Maman.
« Ce n’est pas vrai ! Mais vous ne respectez rien ! Pas même notre intimité ! » réplique Camille, la voix brisée.
Je me précipite pour les séparer. Maman fond en larmes : « Tu vas laisser cette femme me parler comme ça ? Après tout ce que j’ai fait pour toi ? »
Camille me regarde avec des yeux pleins de reproches : « Dis-lui la vérité, François. Dis-lui que tu ne m’as jamais consultée pour sa venue. Dis-lui que tu as menti ! »
Je reste muet. J’ai honte. J’ai peur de blesser l’une ou l’autre. Mais à force de vouloir ménager tout le monde, j’ai blessé les deux.
La nuit suivante, Camille dort dans la chambre d’amis avec Lucie. Je reste seul dans notre lit conjugal, envahi par le vide et le remords.
Le lendemain matin, je trouve une lettre sur la table de la cuisine.
« François,
Je t’aime mais je ne peux plus vivre comme ça. J’ai besoin de sentir que tu es de mon côté, que tu protèges notre famille. Si tu ne mets pas de limites à ta mère, je partirai avec Lucie.
Camille »
Je relis ces mots cent fois. Je sens la panique monter. Je cours à la chambre d’amis : vide. Le berceau est là, mais Lucie n’y est plus.
Je descends quatre à quatre les escaliers. Camille est sur le pas de la porte avec une valise et Lucie dans les bras.
« Camille ! Attends ! »
Elle me regarde droit dans les yeux : « Je t’avais prévenu… »
Maman surgit derrière moi : « Laisse-la partir si elle ne veut pas de nous ! »
Je me retourne vers elle : « Maman, arrête ! Tu ne vois pas ce que tu fais ? Tu es en train de détruire ma famille ! »
C’est la première fois que je lui parle ainsi. Elle blêmit.
Camille hésite sur le seuil. Je m’approche doucement.
« Je suis désolé… J’ai eu tort… Je te promets que ça ne se reproduira plus… »
Elle me regarde longuement. Puis elle sort sans un mot.
Les jours passent. La maison est vide sans Camille et Lucie. Maman a fini par repartir chez elle après une dispute mémorable où je lui ai enfin dit tout ce que je gardais sur le cœur depuis des années : qu’elle devait accepter ma vie d’homme, mes choix, ma famille à moi.
Mais le mal est fait.
Je passe mes soirées à écrire des messages à Camille auxquels elle ne répond pas. Je vais devant chez ses parents à Lyon pour essayer de l’apercevoir, mais elle refuse de me voir.
Un soir d’orage, je reçois enfin un SMS :
« J’ai besoin de temps pour te pardonner. Pour nous pardonner. »
Je m’effondre sur le canapé en pleurant comme un enfant.
Aujourd’hui encore, je me demande : pourquoi ai-je eu si peur de poser des limites ? Pourquoi ai-je cru qu’on pouvait aimer sans choisir ? Est-ce qu’on peut réparer ce qu’on a brisé par lâcheté ?