Quand l’amour et la foi s’entrechoquent : L’histoire de Luc et Amélie

— Tu ne comprends donc pas, Luc ? Jamais mon père n’acceptera que je sois avec un catholique !

La voix d’Amélie tremblait, résonnant dans la petite cuisine de son appartement du Vieux Lyon. Je serrais la tasse de café entre mes mains, incapable de répondre. Le silence s’étira, pesant, seulement brisé par le tic-tac de l’horloge. Je la regardais, ses yeux brillants d’une colère mêlée de tristesse. C’était notre énième dispute sur le même sujet : sa famille, la mienne, et cette frontière invisible mais infranchissable qui nous séparait.

Je me souviens encore du premier jour où je l’ai vue. C’était un samedi matin, sur le marché Saint-Antoine. Elle riait avec sa sœur, un foulard coloré noué autour des cheveux. Je n’avais jamais cru aux coups de foudre, mais ce jour-là, j’ai su que quelque chose venait de changer en moi. Nous avons parlé de tout et de rien, des fromages de chèvre et des tomates anciennes, et je suis reparti avec son numéro griffonné sur un ticket de caisse.

Très vite, nous sommes devenus inséparables. Nos différences religieuses – elle protestante, moi catholique – semblaient alors insignifiantes face à la force de notre amour. Mais la réalité n’a pas tardé à nous rattraper.

Le premier dîner chez mes parents fut un désastre. Ma mère, Françoise, avait préparé un gratin dauphinois et sorti la belle vaisselle. Mais dès qu’Amélie a mentionné qu’elle ne mangeait pas de porc pour respecter une tradition familiale protestante, un silence gênant s’est installé. Mon père a tenté une blague maladroite :

— Ah, chez nous, on mange de tout ! Même les interdits !

Amélie a souri poliment mais je voyais bien qu’elle se refermait. Après le repas, ma mère m’a pris à part :

— Tu es sûr que c’est sérieux ? Tu sais, les différences, ça finit toujours par poser problème…

J’ai haussé les épaules, trop amoureux pour écouter ses mises en garde.

Chez les parents d’Amélie, ce fut pire encore. Son père, Paul, pasteur dans une petite église évangélique du quartier Croix-Rousse, me regardait comme si j’étais venu lui voler sa fille. Sa mère, Hélène, m’a posé mille questions sur ma foi, ma pratique religieuse, mes intentions. J’ai senti que chaque mot était pesé, jugé.

— Vous savez, Luc, chez nous la foi n’est pas qu’une tradition…

J’ai répondu du mieux que j’ai pu, mais je savais déjà que je n’aurais jamais leur bénédiction.

Malgré tout, Amélie et moi avons continué à nous voir en cachette. Nos rendez-vous étaient des bulles hors du temps : promenades sur les quais du Rhône au coucher du soleil, soirées à refaire le monde dans les petits cafés du quartier Saint-Jean. Mais plus notre amour grandissait, plus la pression familiale devenait insupportable.

Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur les toits de Lyon, Amélie m’a annoncé qu’elle avait reçu une proposition pour partir étudier à Paris. Elle voulait fuir cette ville où tout le monde connaissait son histoire, où chaque regard était un jugement.

— Viens avec moi, Luc. On recommence tout à zéro.

J’ai hésité. Ma famille comptait sur moi pour reprendre la boulangerie familiale. Mon petit frère venait d’avoir des ennuis avec la justice et mes parents avaient besoin de moi plus que jamais. Mais l’idée de perdre Amélie me terrifiait.

Les semaines suivantes furent un calvaire. Ma mère pleurait en silence chaque soir en préparant le dîner. Mon père ne me parlait plus que pour me rappeler mes « responsabilités ». Je me sentais coupable de vouloir choisir mon bonheur au détriment des miens.

Un dimanche matin, alors que j’assistais à la messe avec ma famille, j’ai croisé le regard d’Amélie assise au fond de l’église protestante voisine – nos deux communautés partageaient le même bâtiment mais jamais les mêmes bancs. Ce jour-là, j’ai compris que notre amour était devenu une sorte de péché aux yeux des autres.

La veille de son départ pour Paris, Amélie est venue me retrouver sur les quais. Il faisait froid et le vent s’engouffrait sous nos manteaux.

— Je t’aime, Luc. Mais je ne peux plus vivre dans la peur et le mensonge.

Je l’ai prise dans mes bras. J’aurais voulu lui promettre que tout s’arrangerait mais je savais que ce serait mentir.

— Je viendrai te retrouver à Paris. Je te le promets.

Mais au fond de moi, je savais que je n’en avais pas la force.

Amélie est partie le lendemain matin. Je l’ai regardée monter dans le train sans oser la retenir. De retour chez moi, j’ai trouvé une lettre sur mon oreiller :

« Luc,
Je t’aime plus que tout mais je dois apprendre à vivre pour moi-même. Peut-être qu’un jour nos familles comprendront que l’amour est plus fort que les traditions. En attendant, prends soin de toi.
Amélie »

Les mois ont passé. J’ai repris la boulangerie familiale mais chaque matin en pétrissant la pâte je pense à elle. Parfois je reçois une carte postale de Paris : une photo de Montmartre ou du Jardin du Luxembourg avec quelques mots griffonnés au dos.

Parfois je me demande : aurais-je dû tout quitter pour elle ? Est-ce vraiment impossible d’aimer quelqu’un sans l’approbation de sa famille ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?