Quand la vérité fait mal : Histoire de Camille et de la justice sur les trottoirs de Marseille

— « Vos papiers, s’il vous plaît ! »

La voix sèche du policier résonne encore dans ma tête. Il est minuit passé, le Vieux-Port de Marseille est presque désert. Je serre mon sac contre moi, le cœur battant. Je m’appelle Camille, j’ai vingt-sept ans, et cette nuit-là, j’ai compris que la justice n’est pas toujours du côté de ceux qui la réclament.

Je tends mes papiers d’une main tremblante. L’autre policier, plus jeune, me scrute avec un regard froid. « Vous habitez où ? Qu’est-ce que vous faites dehors à cette heure-ci ? » Je sens la colère monter, mais aussi la peur. Je rentrais simplement chez moi après un dîner chez mon amie Sophie. Rien d’illégal, rien de suspect. Pourtant, dans leurs yeux, je suis déjà coupable.

— « Vous avez quelque chose à cacher ? »

Je me force à répondre calmement : « Non, je rentre juste chez moi. »

Ils fouillent mon sac sans ménagement. Je pense à tout ce que j’ai appris sur mes droits à la fac de droit d’Aix-en-Provence. Je sais que je peux refuser une fouille sans motif valable, mais oserais-je ? Dans cette ruelle sombre, deux hommes en uniforme face à moi…

Je me tais. Je laisse faire. Je me sens humiliée.

Quand ils repartent enfin, sans un mot d’excuse, je reste figée quelques secondes. Puis je marche vite, très vite, jusqu’à mon immeuble. Mes mains tremblent encore quand j’ouvre la porte de l’appartement que je partage avec ma sœur aînée, Claire.

Elle est là, assise sur le canapé, les yeux rivés sur son téléphone. Elle lève les yeux vers moi et comprend tout de suite que quelque chose ne va pas.

— « Camille ? Qu’est-ce qui s’est passé ? »

Je m’effondre sur le canapé et je lui raconte tout. Sa mâchoire se crispe.

— « Tu aurais dû leur dire qu’ils n’avaient pas le droit ! »

— « Et risquer quoi ? Qu’ils me fassent pire ? »

Le silence s’installe entre nous. Claire soupire et me serre dans ses bras. Elle a toujours été plus forte que moi, plus combative aussi. Mais ce soir-là, même elle ne trouve pas les mots pour me rassurer.

Le lendemain matin, je me réveille avec une boule au ventre. Je dois aller à la fac pour un exposé sur… les droits fondamentaux des citoyens face à la police. L’ironie me donne envie de vomir.

Dans l’amphithéâtre, je prends la parole devant mes camarades et le professeur Morel.

— « Hier soir, j’ai été contrôlée sans raison par deux policiers. Ils ont fouillé mon sac sans mon consentement… »

Un murmure parcourt la salle. Certains baissent les yeux, d’autres hochent la tête avec compassion ou indignation.

— « Ce genre de contrôle arbitraire arrive tous les jours », lance Mehdi au fond de la salle.

— « Oui, mais on ne doit pas se taire », répond Julie.

Le professeur Morel intervient :

— « Camille soulève une question essentielle : comment réagir face à l’abus d’autorité ? »

Je sens les regards sur moi. Je voudrais disparaître.

Après le cours, Mehdi m’aborde :

— « Tu sais, ma sœur a vécu la même chose l’an dernier… Elle a porté plainte, mais ça n’a rien donné. »

Je sens une colère sourde monter en moi. Pourquoi devrions-nous accepter cela ? Pourquoi la peur devrait-elle nous faire taire ?

Le soir venu, je rentre chez moi et retrouve Claire qui m’attend avec une pile de documents.

— « J’ai cherché des associations qui peuvent t’aider à porter plainte si tu veux… »

Je regarde les noms : La Ligue des droits de l’Homme, SOS Racisme…

— « Tu crois vraiment que ça sert à quelque chose ? »

— « Si personne ne parle, rien ne changera jamais », répond-elle avec détermination.

Les jours passent et l’incident me hante. Je fais des cauchemars où je suis poursuivie par des policiers anonymes dans les ruelles de Marseille. À la fac, certains camarades m’évitent comme si j’étais devenue contagieuse. D’autres m’encouragent à me battre.

Un soir, lors d’un dîner familial chez mes parents à Aubagne, le sujet revient sur la table. Mon père hausse les épaules :

— « Les policiers font leur travail… Tu n’as rien à te reprocher, alors pourquoi t’inquiéter ? »

Ma mère serre ma main sous la table :

— « Ce n’est pas normal qu’on te fasse sentir coupable alors que tu es innocente. »

Le débat s’enflamme. Mon frère Paul prend la défense des policiers :

— « Si tu n’as rien à cacher, pourquoi refuser un contrôle ? »

Je sens les larmes monter :

— « Parce que ce n’est pas une question de cacher ou non ! C’est une question de respect et de dignité ! »

La discussion tourne court dans un silence gênant.

Cette nuit-là, je décide d’écrire une lettre ouverte que je publie sur les réseaux sociaux :

« Je m’appelle Camille et j’ai été contrôlée sans raison par deux policiers à Marseille. J’ai eu peur. J’ai eu honte. Mais je refuse de me taire… »

Les réactions affluent : messages de soutien, témoignages similaires, mais aussi insultes et menaces anonymes.

Un matin, je reçois un message d’une journaliste de France 3 qui souhaite recueillir mon témoignage pour un reportage sur les contrôles au faciès.

Je doute. Dois-je exposer mon histoire au grand public ? Prendre le risque d’être stigmatisée encore plus ? Mais je pense à toutes celles et ceux qui n’osent pas parler.

Je finis par accepter l’interview.

Le reportage passe à la télévision locale. À la fac, certains professeurs me félicitent pour mon courage ; d’autres m’évitent désormais. Dans ma famille aussi, les tensions persistent : mon père craint pour ma sécurité ; ma mère est fière mais inquiète ; Paul ne me parle plus depuis des semaines.

Mais quelque chose a changé en moi. Je ne suis plus seulement une victime silencieuse. J’ai trouvé ma voix.

Aujourd’hui encore, chaque fois que je croise un uniforme dans la rue, mon cœur se serre. Mais je marche la tête haute.

Est-ce cela grandir ? Apprendre à transformer sa peur en force ? Ou bien est-ce simplement refuser l’injustice coûte que coûte ? Qu’en pensez-vous ?