Quand la trahison porte le visage de l’amitié

« Tu ne comprends pas, Lucie, il faut que tu me croies ! » La voix de Claire tremblait, mais je n’entendais plus que le sang battre à mes tempes. Je venais de lire les messages sur le téléphone de mon mari, Paul. Des mots doux, des rendez-vous secrets… et le prénom de Claire, ma meilleure amie depuis vingt ans.

Je suis restée là, figée dans le salon, les rideaux tirés contre la lumière du matin. Mon fils, Théo, jouait dans sa chambre. Je me suis demandé comment j’avais pu être aussi aveugle. Claire, c’était ma confidente, celle qui m’avait soutenue quand maman est morte, qui avait veillé sur moi après la naissance difficile de Théo. Elle connaissait tout de moi, mes rêves, mes peurs, mes faiblesses. Et Paul… Paul était mon roc, mon amour de jeunesse rencontré à la fac de Lyon. Nous avions construit notre vie à Dijon, entre les allers-retours à l’école et les vacances en Bretagne.

Je me revois encore, il y a quelques mois à peine, assise dans la cuisine avec Claire. Elle pleurait à cause de son propre mariage qui battait de l’aile. Son mari, Antoine, s’éloignait d’elle, disait-elle. Je l’écoutais des heures durant, lui préparant du thé, lui répétant qu’elle était forte et qu’elle s’en sortirait. J’ai même organisé des dîners pour les réconcilier. J’étais persuadée d’être une bonne amie.

Mais ce matin-là, tout s’est effondré. J’ai confronté Paul dans la salle de bain. Il a d’abord nié, puis il a baissé les yeux. « Je suis désolé, Lucie… Je ne sais pas ce qui m’a pris. » J’ai hurlé, pleuré, supplié qu’il me dise que ce n’était pas vrai. Mais il n’y avait plus rien à sauver.

J’ai appelé Claire. Elle a mis du temps à décrocher. Sa voix était rauque : « Lucie ? »
— Dis-moi que ce n’est pas vrai… Dis-moi que tu n’as pas couché avec Paul !
Un silence. Puis un sanglot étouffé.
— Je suis désolée… Je t’en supplie, pardonne-moi…

Je me suis effondrée sur le carrelage froid. Comment avait-elle pu ? Comment avais-je pu ne rien voir ? Toutes ces soirées où elle restait tard après les repas… Tous ces regards échangés entre eux… Je croyais qu’ils se disputaient pour moi, pas entre eux.

Les semaines suivantes ont été un cauchemar éveillé. Paul a quitté la maison pour aller chez sa sœur à Besançon. Théo ne comprenait pas pourquoi papa ne venait plus le chercher à l’école. J’ai dû affronter les regards des voisins, les questions de ma belle-mère qui me reprochait de ne pas avoir su garder son fils.

Claire m’a envoyé des lettres, des messages, des fleurs. Elle disait qu’elle avait tout perdu elle aussi : son mari Antoine avait découvert la liaison et l’avait mise dehors. Elle voulait qu’on se voie, qu’on parle. Mais je ne pouvais pas. Chaque fois que je pensais à elle, c’était comme si on m’arrachait le cœur.

Un soir d’automne, alors que la pluie battait contre les vitres et que Théo dormait enfin après avoir pleuré pour son père, j’ai reçu un message de Claire : « Je t’attends au café du coin si tu veux me parler. » J’y suis allée sans vraiment savoir pourquoi.

Elle était là, assise au fond de la salle presque vide, les yeux rougis. Elle s’est levée en me voyant et a voulu me prendre dans ses bras. Je l’ai repoussée.
— Pourquoi ? ai-je murmuré.
Elle a baissé la tête.
— Je me sentais seule… Paul aussi… On ne voulait pas te blesser…
— Mais vous l’avez fait !

Elle a éclaté en sanglots. Les clients nous regardaient du coin de l’œil mais je m’en fichais. J’avais besoin de comprendre.
— Tu étais tout pour moi, Claire… Ma sœur…
— Je sais… Je ne me le pardonnerai jamais.

Je suis partie sans me retourner. Sur le chemin du retour, j’ai pensé à toutes ces années d’amitié gâchées. À tous ces moments partagés qui n’étaient plus que des souvenirs empoisonnés.

Aujourd’hui encore, plusieurs mois après la tempête, je tente de recoller les morceaux de ma vie. Paul veut revoir Théo mais je ne sais pas si je pourrai un jour lui pardonner. Claire a déménagé à Bordeaux pour recommencer ailleurs. Parfois je relis ses lettres mais je n’arrive pas à lui répondre.

Je me demande souvent : comment peut-on survivre à une double trahison ? Est-ce que l’on peut vraiment reconstruire sa confiance après avoir été trahie par ceux qu’on aimait le plus ?

Et vous… Auriez-vous pu pardonner ?