Quand j’ai ramené ma mère malade à la maison, mon mari m’a demandé de lui louer un appartement
« Camille, je t’en supplie, ne me laisse pas seule… » La voix de ma mère résonne encore dans le couloir glacé de l’hôpital de Tours. Je serre sa main, si fine, si fragile, et je sens mes larmes couler malgré moi. Elle a toujours été mon pilier, celle qui a tout sacrifié pour moi après le départ de mon père. Aujourd’hui, c’est à mon tour de la protéger.
Mais dès que je franchis la porte de notre appartement haussmannien à Nantes, Julien m’attend, les bras croisés, le regard dur. « Camille, on en a déjà parlé. Je ne veux pas de ta mère ici. Ce n’est pas un hospice, notre maison. »
Je reste figée, la valise de maman dans une main, son dossier médical dans l’autre. « Julien… Elle n’a nulle part où aller. Elle ne peut plus vivre seule. Tu sais ce que le médecin a dit. »
Il soupire bruyamment, s’éloigne vers la cuisine et claque la porte du frigo. « Alors trouve-lui un appartement. On paiera le loyer si tu veux, mais je refuse qu’elle s’installe ici. J’ai besoin de tranquillité après mes journées au cabinet. »
Je sens la colère monter en moi. Comment peut-il être aussi froid ? N’a-t-il donc rien compris à ce que je vis ? Je repense à notre mariage, il y a huit ans, dans cette grande maison de famille en Anjou. Trois jours de fête, des rires, des promesses d’éternité. Ma mère était si fière ce jour-là…
Je me tourne vers elle, assise sur le canapé du salon, les yeux perdus dans le vide. Elle tente un sourire pour me rassurer, mais je vois bien qu’elle souffre. « Camille, écoute ton mari… Je ne veux pas être un fardeau pour vous deux… »
« Maman, arrête… Tu n’es pas un fardeau. Tu es ma mère. »
Julien revient, son téléphone à la main. « J’ai déjà regardé sur Leboncoin. Il y a un studio pas loin d’ici, au rez-de-chaussée. Ce sera plus simple pour elle et pour nous. »
Je sens mon cœur se briser un peu plus à chaque mot qu’il prononce. Comment peut-il parler d’elle comme d’un colis encombrant ? Je me souviens de ses mots doux quand il voulait me séduire, de ses promesses de tout affronter ensemble… Où est passé cet homme-là ?
Les jours passent et la tension s’installe comme une brume épaisse dans notre appartement. Maman tousse la nuit, je dors mal, Julien s’énerve pour un rien. Un soir, alors que je prépare une soupe pour maman, il explose : « Tu passes plus de temps avec elle qu’avec moi ! On dirait que tu oublies qu’on est mariés ! »
Je laisse tomber la louche dans l’évier. « Tu crois que j’ai choisi cette situation ? Tu crois que ça me fait plaisir de voir maman dépérir ? Je fais ce que je peux ! »
Il baisse les yeux mais ne s’excuse pas. Le fossé entre nous grandit chaque jour.
Un dimanche matin, alors que je change les draps de maman, elle me prend la main. « Camille… Je veux rentrer chez moi. Je ne veux plus être la cause de vos disputes… »
Je m’effondre en larmes sur son oreiller. « Maman, je t’en supplie… Ne me demande pas ça… Je ne peux pas te laisser seule… »
Elle caresse mes cheveux comme quand j’étais enfant. « Tu dois penser à ta vie aussi… À ton couple… Je t’aime trop pour te voir malheureuse à cause de moi… »
Le soir même, Julien me tend les clés du studio qu’il a loué pour elle. « C’est mieux ainsi, Camille. Tu verras… On retrouvera notre vie d’avant… »
Mais rien n’est plus comme avant.
Je passe mes journées à courir entre le travail, l’appartement de maman et notre maison silencieuse. Je m’épuise à force de vouloir tout concilier. Julien devient distant, il rentre tard, prétexte des dossiers urgents au cabinet d’avocats.
Un soir d’automne, alors que je rentre chez maman avec des courses, je la trouve assise dans le noir, les yeux rouges d’avoir pleuré.
« Camille… J’ai peur… Je me sens seule ici… J’entends des bruits la nuit… Et puis j’ai mal partout… »
Je m’assieds près d’elle et la serre fort contre moi. Mon cœur se serre d’impuissance et de colère contre Julien, contre moi-même aussi.
Quelques semaines plus tard, maman fait une mauvaise chute dans sa salle de bain. Les pompiers m’appellent en pleine réunion au bureau. Je fonce à l’hôpital en pleurant toutes les larmes de mon corps.
Julien arrive plus tard dans la soirée, l’air gêné.
« Je suis désolé Camille… Je ne voulais pas que ça arrive… Mais tu sais bien que je ne pouvais pas vivre avec elle sous notre toit… Ce n’est pas ma mère après tout… »
Ses mots me frappent comme une gifle.
Maman ne rentrera jamais vraiment chez elle. Elle partira quelques mois plus tard dans une maison médicalisée.
Aujourd’hui encore, je me demande si j’ai fait le bon choix en acceptant les conditions de Julien. Est-ce cela aimer quelqu’un ? Sacrifier sa propre mère pour préserver son couple ? Ou bien ai-je simplement fui mes responsabilités par peur de perdre l’homme que j’aimais ?
Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Jusqu’où iriez-vous par amour ou par devoir filial ?