Les Oreilles de l’Espoir : Mon Combat contre le Harcèlement à l’École

« Regardez Dumbo ! Il va s’envoler ! » La voix de Lucas résonne encore dans ma tête, même des années après. Je serre les poings sous la table de la cantine, les joues brûlantes de honte. Autour de moi, les rires fusent. Je n’ose pas lever les yeux. Mes oreilles, trop grandes, trop décollées, sont devenues le centre de toutes les attentions depuis mon entrée en sixième au collège Jean-Moulin de Tours.

Chaque jour, c’est la même rengaine. Les surnoms, les chuchotements dans les couloirs, les regards insistants. Même mes amis d’enfance, comme Paul et Camille, finissent par s’éloigner, de peur d’être associés à « l’extraterrestre ». Je rentre chez moi le soir, le cœur lourd, et je m’enferme dans ma chambre. Ma mère frappe doucement à la porte :

— Théo, ça va ?

Je réponds toujours la même chose :

— Oui, maman, tout va bien.

Mais ce n’est qu’un mensonge de plus. Je ne veux pas l’inquiéter. Depuis que papa est parti vivre à Lyon avec sa nouvelle compagne, elle se bat seule pour joindre les deux bouts. Elle travaille à la boulangerie du quartier et rentre épuisée chaque soir. Je ne veux pas être un problème de plus.

Un soir d’hiver, alors que je me regarde dans le miroir de la salle de bain, je craque. Les larmes coulent sans que je puisse les retenir. Je prends une paire de ciseaux et tente maladroitement de coller mes oreilles contre ma tête avec du sparadrap trouvé dans la trousse à pharmacie. Le lendemain matin, en voyant les traces rouges sur ma peau, maman comprend que quelque chose ne va pas.

— Théo, tu veux bien me dire ce qui se passe ?

Je fonds en larmes dans ses bras. Pour la première fois, je lui raconte tout : les moqueries, la solitude, la honte. Elle me serre fort et me promet qu’on va trouver une solution.

Quelques semaines plus tard, nous sommes assis dans le cabinet du Dr Lefèvre, un chirurgien esthétique réputé à Tours. Il m’explique calmement :

— L’otoplastie est une intervention rapide et sûre. En une heure, on peut recoller vos oreilles et mettre fin à ces complexes.

Maman hésite. L’opération coûte cher et notre budget est serré. Mais elle voit mon désespoir et décide d’emprunter à sa sœur pour financer l’intervention. Je sens un mélange de culpabilité et d’espoir.

Le jour J arrive. Je suis terrorisé mais aussi excité à l’idée d’un nouveau départ. L’opération se passe sans encombre. Quand je retire le bandage une semaine plus tard, je découvre mon nouveau visage dans le miroir. Mes oreilles sont enfin discrètes. Je souris pour la première fois depuis des mois.

La rentrée suivante est différente. Lucas tente bien quelques remarques mais elles tombent à plat. Paul revient vers moi et on recommence à jouer au foot ensemble dans la cour. Camille me propose même de réviser les maths avec elle après les cours.

Mais tout n’est pas si simple. Certains professeurs semblent gênés par mon changement soudain. Madame Dupuis, ma prof de français, me prend à part :

— Tu sais Théo, tu étais très bien comme tu étais… Il ne faut pas céder à la pression des autres.

Je comprends ce qu’elle veut dire mais elle n’a jamais vécu ce que j’ai vécu. Elle n’a jamais eu peur d’aller à l’école chaque matin.

À la maison, maman culpabilise parfois :

— Peut-être qu’on aurait dû porter plainte contre le collège… Peut-être que j’aurais dû t’écouter plus tôt…

Je la rassure comme je peux. Ce n’est pas sa faute. C’est la société qui juge sur l’apparence, qui laisse faire le harcèlement sans vraiment agir.

Aujourd’hui, j’ai 16 ans et je repense souvent à cette période sombre de ma vie. J’ai retrouvé confiance en moi mais je sais que beaucoup d’autres enfants souffrent encore en silence. J’aimerais leur dire qu’ils ne sont pas seuls, qu’il y a toujours une solution — même si elle n’est pas parfaite.

Parfois je me demande : aurais-je été plus fort si j’avais gardé mes oreilles telles qu’elles étaient ? Ou bien ai-je simplement cédé à la cruauté des autres ? Est-ce vraiment à nous de changer pour être acceptés ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?