Le prix du silence : Confessions d’une mère française face à la spirale du jeu

— Maman, il faut que tu m’aides… Je t’en supplie.

La voix de Julien tremblait au téléphone, et j’ai senti mon cœur se serrer. J’étais au rayon fruits et légumes du Carrefour de notre petite ville de Tours, la main suspendue au-dessus des pommes, quand il a prononcé ces mots. Mon fils, mon unique enfant, celui pour qui j’aurais tout donné. Je n’avais jamais entendu une telle détresse dans sa voix, même pas lorsqu’il était tombé de vélo à huit ans et qu’il s’était ouvert le genou.

Nous nous sommes retrouvés dans ma cuisine, là où tout a toujours commencé et fini dans notre famille. Il avait les yeux rougis, les mains moites. Je lui ai servi un café, espérant que la chaleur de la tasse lui donnerait le courage de parler.

— Dis-moi ce qui se passe, Julien. Tu sais que tu peux tout me dire.

Il a hésité, triturant la cuillère entre ses doigts.

— J’ai… J’ai des dettes, maman. Beaucoup de dettes. Je ne sais plus quoi faire.

Mon cœur s’est arrêté une seconde. J’ai pensé à son travail d’informaticien, à ses études brillantes, à tout ce qu’il avait construit. Comment avait-il pu en arriver là ?

— Combien ?

Il a murmuré un chiffre qui m’a glacée. 27 000 euros. Plus que ce que je gagnais en une année à la mairie.

— Mais comment ? Pourquoi ?

Il a baissé les yeux. Un silence épais s’est installé. J’ai cru qu’il allait pleurer.

— Ce n’est pas important… Je te rembourserai, c’est promis. Mais si je ne paie pas rapidement, ils vont venir chez moi…

J’ai senti la panique monter en moi. Qui étaient « ils » ? Des huissiers ? Des gens dangereux ? J’ai pensé à toutes ces histoires sordides qu’on entend aux infos.

Le lendemain, sans réfléchir davantage, j’ai pris rendez-vous à la banque. J’ai signé un crédit à la consommation. 30 000 euros sur dix ans. Je n’avais jamais eu de dettes de ma vie, mais pour Julien, je l’aurais fait mille fois.

Quand je lui ai tendu le chèque, il m’a serrée dans ses bras comme quand il était petit. J’ai cru voir une lueur d’espoir dans ses yeux.

Mais les semaines ont passé. Julien ne venait plus dîner le dimanche. Il répondait à peine à mes messages. Un soir, j’ai croisé son amie d’enfance, Camille, au marché.

— Tu sais que Julien passe beaucoup de temps au casino ces derniers temps ?

J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds.

Ce soir-là, j’ai fouillé sur internet. J’ai découvert des forums où des mères racontaient la même histoire : des enfants engloutis par le jeu, des familles ruinées par amour et par honte.

J’ai confronté Julien lors d’un dîner tendu.

— Dis-moi la vérité. C’était pour le jeu, n’est-ce pas ?

Il a nié d’abord, puis s’est effondré.

— Je suis désolé, maman… Je croyais pouvoir me refaire… Juste une dernière fois…

La colère m’a submergée.

— Tu m’as menti ! Tu as pris mon argent pour jouer !

Il a éclaté en sanglots. J’aurais voulu le prendre dans mes bras, mais j’étais paralysée par la trahison.

Les mois suivants ont été un enfer silencieux. Les prélèvements de la banque tombaient chaque mois sur mon compte. Je faisais mes courses chez Lidl au lieu du marché. J’ai arrêté mes séances d’aquagym pour économiser quelques euros. La honte me rongeait : comment avouer à mes collègues que je croulais sous les dettes ?

Julien s’est éloigné encore plus. Il évitait les repas de famille, fuyait nos voisins qui lui demandaient des nouvelles. Un soir d’hiver, il est venu frapper à ma porte, hagard.

— Maman… Je crois que j’ai besoin d’aide.

Nous avons cherché ensemble un centre spécialisé dans l’addiction au jeu à Tours. Les premiers rendez-vous ont été difficiles. Il rechignait à parler devant l’assistante sociale, mais peu à peu il a accepté sa maladie.

Un soir, il m’a dit :

— Je ne sais pas si je pourrai un jour te rembourser…

Je lui ai répondu :

— Ce n’est pas l’argent qui compte. C’est toi.

Mais au fond de moi, je me sentais brisée. J’avais sacrifié ma tranquillité pour sauver mon fils d’un gouffre dont je ne connaissais pas la profondeur.

Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je bien fait ? L’amour maternel doit-il tout excuser ? Et vous, jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour sauver ceux que vous aimez ?