Le Fil Invisible : Mon amitié à l’épreuve de la maternité

« Tu ne comprends pas, Lucie ! » La voix de Camille résonne dans le salon, tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un réconfort dans la chaleur qui s’en échappe. Autour de nous, les jouets de son fils, Paul, jonchent le parquet. Je me sens étrangère dans cet appartement où j’ai pourtant tant ri autrefois.

Camille, ma Camille, celle avec qui j’ai partagé mes secrets d’adolescente sur les bancs du lycée Voltaire, celle qui m’a consolée après chaque rupture, n’est plus la même. Depuis qu’elle est devenue mère il y a six mois, elle a disparu derrière une nouvelle identité : maman. Je la regarde bercer Paul, ses gestes sont doux mais son regard est ailleurs, loin de moi.

« Je fais de mon mieux, tu sais… » Ma voix se brise. J’aimerais lui dire que je me sens abandonnée, que j’ai besoin d’elle comme avant. Mais comment rivaliser avec un bébé ?

Elle soupire, fatiguée. « Tu crois que c’est facile ? Je ne dors plus, je n’ai plus une minute à moi… »

Je baisse les yeux. Elle a raison. Mais moi aussi, j’ai mal. Depuis la naissance de Paul, nos sorties improvisées au cinéma ou nos soirées à refaire le monde autour d’un verre de vin ont disparu. Nos discussions se résument à des échanges de textos brefs : « Paul a de la fièvre », « Je suis crevée », « On se rappelle plus tard ? »

Un soir de novembre, je rentre chez moi sous la pluie battante. Mon téléphone vibre : une photo de Paul déguisé en citrouille pour Halloween. Pas un mot pour moi. Juste ce petit visage rond qui me rappelle que je ne fais plus partie du premier cercle.

Je m’effondre sur mon lit, envahie par une jalousie honteuse. Pourquoi ai-je l’impression d’avoir perdu ma place ? Est-ce égoïste de vouloir retrouver mon amie ?

Les semaines passent. Je tente d’organiser un brunch entre filles comme avant. Camille décline : « Paul est malade ». Puis c’est au tour de Sophie et Claire d’annuler. Je me retrouve seule devant des croissants froids et une bouteille de jus d’orange entamée.

Un samedi matin, je décide d’aller chez Camille sans prévenir. J’ai besoin de la voir, de lui parler vraiment. J’arrive devant sa porte, le cœur battant. J’entends Paul pleurer à l’intérieur. J’hésite puis frappe doucement.

Camille ouvre, les cheveux en bataille, les yeux cernés. « Lucie ? Qu’est-ce que tu fais là ? »

Je bredouille : « Je voulais juste te voir… »

Elle me laisse entrer. L’appartement est en désordre, une odeur de lait caillé flotte dans l’air. Paul hurle dans son transat.

« Tu veux que je t’aide ? »

Elle me regarde, surprise. « Tu pourrais le bercer pendant que je prends une douche ? »

Je prends Paul dans mes bras. Il se calme peu à peu contre moi. Je sens son petit cœur battre fort sous son pyjama bleu ciel. Une émotion étrange m’envahit : tendresse, tristesse, un peu d’envie aussi.

Camille revient, les cheveux mouillés mais le visage apaisé. Elle s’assoit à côté de moi.

« Merci… Je suis désolée si je t’ai délaissée. Je ne sais plus comment faire pour tout gérer… »

Je sens les larmes monter. « Moi aussi je suis désolée… J’ai eu peur de te perdre. »

Elle prend ma main. « On va y arriver, tu crois ? »

Je souris faiblement. « Je veux y croire… Mais il faut qu’on se parle, qu’on se dise quand ça ne va pas. »

Le temps passe et notre amitié change de forme. Je deviens la marraine officieuse de Paul ; j’apprends à aimer ce petit être qui a bouleversé nos vies. Mais parfois, la nostalgie me serre le cœur quand je repense à nos années insouciantes.

Un soir d’été sur les quais de Seine, alors que Paul dort dans sa poussette et que Camille et moi partageons une glace comme autrefois, elle me dit : « Tu sais, j’ai eu peur aussi… Peur que tu partes parce que je ne suis plus la même. »

Je lui souris tristement : « Peut-être qu’on ne sera plus jamais comme avant… Mais peut-être qu’on peut inventer autre chose ? »

Aujourd’hui encore, je me demande : faut-il accepter que certaines amitiés changent pour survivre ? Ou bien faut-il parfois savoir lâcher prise pour se protéger soi-même ? Qu’en pensez-vous ?