Le Dernier Souhait de Maman : Promesse d’un Fils sous les Larmes
« Joseph, viens plus près, mon chéri. » Sa voix tremble, à peine un souffle dans la chambre où l’odeur des médicaments se mêle à celle du linge propre. Je m’approche du lit, le cœur battant si fort que j’ai peur qu’elle l’entende. Maman me regarde avec ses yeux fatigués, mais il y a encore cette lumière, ce courage qui ne l’a jamais quittée. « Promets-moi… promets-moi de veiller sur Paul. »
Je serre sa main glacée. Paul dort dans la chambre d’à côté, inconscient du drame qui se joue. Je voudrais lui dire que tout ira bien, mais je sens déjà le poids de la promesse qui m’écrase. « Je te le promets, Maman. »
Elle ferme les yeux, un sourire triste sur les lèvres. Je reste là, à écouter sa respiration irrégulière, à espérer un miracle. Mais au fond de moi, je sais que le miracle n’arrivera pas.
Le lendemain matin, la maison est silencieuse. Papa est déjà parti travailler à l’usine ; il fuit la douleur comme il peut. Je prépare le petit-déjeuner pour Paul, sept ans, qui me regarde avec ses grands yeux inquiets. « Elle va revenir quand, Maman ? »
Je ravale mes larmes. « Elle doit se reposer à l’hôpital, Paul. »
Les jours passent, rythmés par les visites à l’hôpital de Saint-Étienne, les devoirs que j’essaie de faire entre deux lessives et les disputes avec Papa qui rentre de plus en plus tard. Un soir, il claque la porte si fort que Paul sursaute. Je me précipite dans la cuisine.
« Tu pourrais aider un peu plus ! » crie-t-il en jetant son manteau sur une chaise.
« J’fais ce que je peux ! »
Il me regarde avec des yeux rouges de fatigue et de colère. « T’es pas le chef ici. »
Je baisse la tête. Il ne comprend pas que je n’ai pas le choix. Que j’ai promis.
Le jour où Maman s’éteint, c’est Paul qui me réveille en pleurant. On nous appelle à l’hôpital. Je serre fort la main de mon petit frère dans le tramway bondé, les gens nous regardent sans vraiment nous voir. À l’hôpital, Papa s’effondre sur une chaise ; moi, je reste debout, incapable de pleurer devant lui.
Les semaines suivantes sont floues. Les voisins viennent déposer des plats sur le pas de la porte ; la famille défile pour les obsèques dans notre petit village près de Montbrison. Mais après leur départ, il ne reste que le silence et les factures qui s’accumulent.
Paul fait des cauchemars toutes les nuits. Il s’accroche à moi comme à une bouée. Je rate des cours pour l’emmener chez la psychologue scolaire. Les profs commencent à s’inquiéter pour mes notes ; certains camarades se moquent parce que je porte toujours les mêmes vêtements.
Un soir d’hiver, Papa rentre ivre et s’effondre dans le salon. Je dois nettoyer son vomi pendant que Paul me regarde sans comprendre. La colère monte en moi comme une vague noire.
« Pourquoi il fait ça ? » demande Paul.
Je n’ai pas de réponse. Je voudrais tout casser, hurler que ce n’est pas juste. Mais je me contente de serrer mon frère contre moi.
Un jour, je découvre une lettre cachée dans le tiroir de Maman : elle y parle d’un secret de famille, d’une sœur qu’elle a perdue jeune et dont elle n’a jamais parlé à personne. Je comprends alors que la douleur se transmet comme un héritage silencieux.
Je décide d’écrire à ma tante Lucie à Lyon, dont on parle peu parce qu’elle a coupé les ponts avec Papa il y a des années. Elle répond vite : « Viens passer quelques jours chez moi avec Paul. »
Chez Lucie, tout est différent : elle rit fort, cuisine des plats exotiques et nous emmène voir les lumières de la ville. Paul retrouve le sourire ; moi aussi, un peu.
Mais quand on rentre à la maison, Papa est furieux : « T’as pas le droit de partir sans demander ! »
Je lui fais face pour la première fois : « On ne peut plus continuer comme ça ! Paul a besoin de stabilité… Moi aussi ! »
Il me gifle. Je reste debout, fier malgré la douleur.
Cette nuit-là, je prends une décision : si Papa ne change pas, je partirai avec Paul chez Lucie pour de bon.
Le lendemain matin, je trouve Papa assis dans la cuisine, les yeux rougis par les larmes.
« Je suis désolé… J’ai peur aussi, tu sais… »
Pour la première fois depuis longtemps, on parle vraiment. De Maman, du vide qu’elle a laissé, de nos peurs et de nos espoirs.
Petit à petit, on apprend à vivre autrement. Papa accepte d’aller voir un psy ; Paul recommence à dessiner ; moi, je retrouve goût aux études.
Mais chaque soir avant de dormir, je repense à cette promesse faite au chevet de Maman.
Ai-je vraiment été à la hauteur ? Peut-on jamais réparer ce que la vie brise ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?