La revanche inattendue de Mamie : Une leçon d’humilité au supermarché

— Non mais vous ne pouvez pas aller plus vite ? Il y a des gens qui travaillent, vous savez !

La voix de la jeune femme derrière moi claque comme un fouet. Je sens mon visage s’empourprer. J’essaie de ranger mes courses aussi vite que mes mains arthritiques me le permettent, mais chaque geste me coûte. La caissière, Chloé — badge bien en vue, sourire crispé — me lance un regard agacé. Elle soupire, tape nerveusement sur le tapis roulant. Je bredouille une excuse, mais elle hausse les épaules, exaspérée. Toute la file me regarde, certains ricanent. J’ai envie de disparaître.

En sortant du supermarché, les larmes me montent aux yeux. J’ai 74 ans, j’ai élevé trois enfants seule, traversé Mai 68, connu des grèves, des deuils, des joies. Et voilà qu’on me traite comme une vieille chose inutile. Je serre les poings. Non, cette fois, je ne laisserai pas passer. Je veux qu’elle comprenne ce que c’est d’être humiliée.

Le soir même, chez moi, je rumine. Mon fils, Vincent, m’appelle :
— Ça va, Maman ? Tu as l’air fatiguée.
Je marmonne un « ça va » évasif. Il ne comprendrait pas. Il est toujours pressé, trop occupé par son boulot à la mairie. Ma petite-fille, Camille, m’envoie un message : « Bisous Mamie ! » Je souris malgré moi. Mais la colère revient vite.

Le lendemain, je retourne au supermarché. J’attends que Chloé soit à la caisse. Je fais exprès de prendre un caddie plein à craquer. Quand vient mon tour, je fais durer le plaisir : je cherche ma carte de fidélité, je demande le prix de chaque article, je fais répéter. Elle pâlit, s’agace, mais reste polie. Derrière moi, la file s’allonge. Je sens la tension monter. Je jubile intérieurement.

Mais soudain, une vieille dame derrière moi s’effondre. Choc. Tout le monde s’agite. Chloé saute de sa caisse, court vers elle, appelle les secours, la rassure avec une douceur incroyable. Je reste figée, honteuse. Quand les pompiers arrivent, Chloé revient à sa caisse, les yeux rougis.

Je paie en silence. Au moment de partir, elle me glisse :
— Je suis désolée pour hier. J’étais stressée… Ce n’est pas une excuse.

Je bredouille un merci. Je me sens minable.

Les jours passent. Je croise Chloé en ville, elle marche vite, l’air fatigué. Un soir, je la vois pleurer sur un banc devant la boulangerie. J’hésite puis m’approche.
— Ça va ?
Elle sursaute, essuie ses larmes.
— Désolée… C’est rien…
— Vous savez, moi aussi j’ai eu des jours difficiles…

On parle longtemps. Elle me raconte sa mère malade, son père absent, ses études qu’elle a dû arrêter pour travailler. Je lui parle de ma solitude, de mes souvenirs d’un autre temps où les gens prenaient le temps de se parler.

Peu à peu, une étrange amitié naît entre nous. Je lui apporte des tartes aux pommes, elle m’aide à porter mes sacs. On rit de nos maladresses respectives. Un jour, elle me confie :
— Vous m’avez appris à être patiente… et à demander pardon.

Je repense à ma vengeance ratée. J’ai voulu lui donner une leçon, mais c’est moi qui ai appris la plus grande : l’humilité.

À Noël, Chloé vient dîner chez moi avec Camille et Vincent. On parle fort, on rit, on se dispute gentiment sur la politique et les chansons d’Aznavour. Je regarde cette table bigarrée et je me dis que la vie est pleine de surprises.

Parfois, je repense à ce jour au supermarché. Et si je n’avais rien fait ? Serais-je restée enfermée dans ma rancœur ?

Est-ce qu’on ne devrait pas tous essayer de comprendre l’autre avant de juger ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?