La proposition amère de ma belle-mère : Quand je me suis retrouvée seule avec mon bébé
— Tu ne peux pas continuer comme ça, Claire. Regarde-toi, tu n’as même plus la force de tenir ta propre fille dans les bras.
La voix de Françoise résonnait dans la petite cuisine, froide et tranchante comme un couteau. Je serrais Lucie contre moi, son souffle chaud sur ma poitrine. Trois mois à peine, et déjà orpheline d’un père qui avait fui ses responsabilités du jour au lendemain. Julien n’avait laissé qu’un mot griffonné sur la table basse : « Je n’y arrive plus. »
Depuis, tout s’était effondré. Les nuits blanches, les pleurs de Lucie, les factures qui s’accumulaient sur le buffet. Je n’avais plus goût à rien, même pas à la soupe que je faisais autrefois avec amour. Ma mère était morte depuis des années, mon père vivait à Bordeaux et ne comprenait rien à ma détresse. Alors, quand Françoise a débarqué ce matin-là, j’ai cru qu’elle venait m’apporter un peu de réconfort.
Mais elle n’a pas pris Lucie dans ses bras. Elle n’a pas demandé comment j’allais. Elle a juste posé son sac sur la table et m’a regardée droit dans les yeux.
— Claire, écoute-moi bien. Tu sais que j’aime Lucie comme ma propre fille. Mais tu n’as pas les moyens de l’élever seule. Tu n’as pas de travail, pas de famille ici. Je peux t’aider… mais il faut que tu acceptes ce que je vais te proposer.
J’ai senti mon cœur se serrer. J’ai deviné qu’elle allait me demander l’impossible.
— Je veux prendre Lucie chez moi, à Lyon. Je peux lui offrir une vie stable, une maison, une éducation. Toi… tu pourrais venir la voir quand tu veux, mais il faut penser à son avenir.
J’ai éclaté en sanglots. Comment pouvait-elle me demander ça ? Me séparer de ma fille ?
— Tu veux que je te la donne ? Comme ça ? Après tout ce que j’ai vécu ?
Françoise a soupiré, exaspérée.
— Ce n’est pas une question de t’enlever ta fille ! C’est une question de bon sens. Tu ne peux pas t’en sortir toute seule. Julien ne reviendra pas. Il a refait sa vie à Marseille, tu le sais très bien.
Je me suis levée brusquement, manquant de faire tomber la chaise.
— Tu crois que je ne suis pas capable ? Que je suis une mauvaise mère parce que je pleure ? Parce que je suis fatiguée ?
Elle s’est adoucie un instant, posant une main sur mon épaule.
— Claire… Je veux juste t’aider. Mais il faut penser à Lucie avant tout.
Cette nuit-là, j’ai veillé Lucie jusqu’à l’aube. Je l’ai regardée dormir, ses petits poings serrés autour de mon doigt. J’ai pensé à toutes ces femmes seules qui se battent pour leurs enfants, à toutes celles qui n’ont personne pour les aider. J’ai pensé à ma propre mère, à ses sacrifices silencieux.
Le lendemain matin, j’ai appelé mon amie Sophie.
— Tu ne peux pas accepter ça, Claire ! m’a-t-elle dit d’une voix indignée. C’est ta fille ! Tu es sa mère !
Mais la voix de Françoise résonnait encore dans ma tête : « Il faut penser à son avenir. »
Les jours suivants ont été un enfer. Françoise revenait chaque soir, insistante, persuasive. Elle me parlait d’écoles privées, de vacances à la mer, d’un avenir radieux pour Lucie. Elle me disait que je pourrais refaire ma vie sans ce poids sur les épaules.
Un soir, alors que Lucie pleurait sans s’arrêter et que je n’avais plus la force de me lever du canapé, j’ai failli céder. J’ai imaginé ma fille heureuse dans une grande maison à Lyon, entourée d’amour et de sécurité. J’ai imaginé ma propre liberté retrouvée.
Mais chaque fois que je pensais à la laisser partir, une douleur sourde me transperçait le ventre.
Un dimanche matin, Françoise est arrivée avec des papiers à signer.
— Il suffit d’une signature, Claire. Après, tout ira mieux pour tout le monde.
Je l’ai regardée longtemps sans rien dire. Puis j’ai pris Lucie dans mes bras et j’ai quitté l’appartement sans me retourner.
Je suis allée chez Sophie. Elle m’a accueillie sans poser de questions, m’a préparé un thé et a gardé Lucie pendant que je dormais enfin quelques heures d’affilée.
C’est là que j’ai compris : je n’étais pas seule. Il y avait des gens prêts à m’aider autrement qu’en me prenant ce que j’avais de plus précieux.
J’ai trouvé un petit boulot dans une librairie du quartier. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était un début. Sophie m’aidait avec Lucie quand je travaillais. Petit à petit, la lumière est revenue dans ma vie.
Françoise a cessé de venir. Elle m’a envoyé quelques lettres froides auxquelles je n’ai jamais répondu.
Aujourd’hui, Lucie a trois ans. Elle court partout dans notre petit appartement parisien et rit aux éclats quand je lui lis des histoires le soir.
Parfois, je repense à cette période sombre et à la proposition de Françoise. Ai-je été égoïste ? Aurais-je dû accepter pour le bien de ma fille ? Ou bien ai-je eu raison de me battre pour rester sa mère ?
Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment juger une mère qui refuse de se séparer de son enfant pour lui offrir une autre vie ?