La force de l’espoir : Mon combat contre la maladie et le silence de ma famille
— Tu n’as pas le droit de me cacher ça, Caroline ! hurle ma mère, les yeux rougis par les larmes, alors que je viens de lui annoncer la nouvelle dans la cuisine, un soir de novembre. Mon père, silencieux, se lève et quitte la pièce sans un mot. Je reste là, figée, une tasse de thé brûlant entre les mains, incapable de répondre.
C’est ainsi que tout a commencé. J’avais trente-trois ans, un mari aimant, Paul, et une petite fille de cinq ans, Lucie. Je croyais à la stabilité, à la routine rassurante des matins pressés et des dimanches en famille à la campagne près d’Angers. Mais ce jour-là, le médecin a prononcé le mot « cancer » comme on jette une pierre dans un lac calme. Tout s’est fissuré.
Je me souviens du trajet en voiture après le diagnostic. Paul conduisait, les mains crispées sur le volant. Il n’a rien dit pendant vingt minutes. Puis, d’une voix étranglée :
— On va s’en sortir, tu m’entends ? On va se battre.
Mais moi, je ne savais pas si je voulais me battre. J’avais peur. Peur de la douleur, peur de laisser Lucie sans mère, peur de devenir un fardeau pour Paul. La nuit suivante, je n’ai pas dormi. J’ai prié — ou plutôt, j’ai crié intérieurement contre Dieu : Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
Les semaines suivantes ont été un tourbillon d’examens, de rendez-vous à l’hôpital de Nantes, de regards fuyants et de silences gênés. Ma mère voulait tout contrôler :
— Tu dois manger ceci, pas cela ! Tu dois te reposer !
Mais moi, je voulais juste qu’on me laisse tranquille. Mon père ne disait rien. Il passait ses journées dans le jardin ou devant la télévision. Un soir, je l’ai surpris en train de pleurer dans le garage. J’ai compris alors que ma maladie était devenue un tabou dans notre famille : on ne parlait pas du cancer. On faisait comme si tout allait bien.
Paul essayait d’être fort pour moi, mais je voyais bien qu’il s’effondrait en cachette. Un soir, alors que Lucie dormait, il m’a avoué :
— J’ai peur de te perdre… Je ne sais pas comment je vais faire sans toi.
J’ai senti une colère sourde monter en moi. Pourquoi fallait-il que ce soit moi qui console tout le monde ? Pourquoi personne ne me demandait comment j’allais vraiment ?
La chimiothérapie a commencé en janvier. Les nausées, la fatigue extrême, la perte de mes cheveux… J’avais honte de mon reflet dans le miroir. Lucie m’a demandé un matin :
— Maman, pourquoi tu n’as plus de cheveux ?
J’ai souri comme j’ai pu :
— C’est pour ressembler à une super-héroïne.
Mais au fond de moi, je me sentais vide. Je me suis éloignée de mes amis ; certains ne savaient pas quoi dire et ont disparu. D’autres m’envoyaient des messages maladroits : « Tu es forte », « Tu vas t’en sortir ». Mais je n’étais pas forte. Je survivais.
Un dimanche après-midi, alors que Paul était parti faire des courses et que Lucie jouait dans sa chambre, ma mère est venue me voir.
— Tu sais… quand j’avais ton âge, j’ai failli perdre ton père dans un accident de voiture. J’ai eu peur aussi. Mais on s’en est sortis parce qu’on était soudés.
J’ai éclaté en sanglots. Pour la première fois depuis des mois, j’ai laissé tomber le masque. Ma mère m’a prise dans ses bras et nous sommes restées là, longtemps, sans parler.
C’est à ce moment-là que j’ai compris que je n’étais pas seule. Que même si ma famille avait du mal à exprimer ses émotions, ils étaient là. J’ai commencé à écrire chaque soir dans un carnet : mes peurs, mes colères, mais aussi mes petits bonheurs — un rayon de soleil sur mon visage, le rire de Lucie, la main de Paul serrant la mienne pendant les perfusions.
Petit à petit, j’ai retrouvé la foi — pas forcément en Dieu, mais en la vie. J’ai accepté l’aide d’une psychologue à l’hôpital ; elle m’a appris à parler de ma maladie sans honte ni colère.
Le printemps est arrivé avec ses promesses de renouveau. Mes cheveux ont commencé à repousser ; Lucie a voulu me coiffer tous les matins.
Un soir d’avril, toute la famille était réunie autour d’un gâteau au chocolat préparé par Paul. Mon père a levé son verre :
— À ta santé, ma fille.
Pour la première fois depuis longtemps, j’ai cru à l’avenir.
Aujourd’hui encore, je ne sais pas si je suis guérie pour toujours. Mais j’ai appris que l’espoir ne vient pas seulement des traitements ou des prières — il vient aussi du courage d’affronter ses peurs et d’oser demander du soutien.
Est-ce que vous aussi vous avez déjà eu peur d’être un poids pour vos proches ? Comment avez-vous trouvé la force d’en parler ?