La Déception de Bernard : Quand un Beau-Père Décide de Changer Nos Vies
— Tu ne peux pas rester ici, Camille. Ce n’est pas une vie pour un enfant.
La voix de Bernard résonne encore dans ma tête, grave, tranchante, alors que je serre la poignée de la porte de l’appartement de Nathan. Il est 22h, la lumière blafarde du couloir éclaire à peine le carrelage usé. Nathan, assis sur le canapé, la tête entre les mains, ne dit rien. Je sens mon cœur battre à tout rompre, la colère et la peur se mêlant dans mes veines.
Tout a commencé il y a six mois, lors de ce vide-grenier à Montreuil. J’y étais pour vendre quelques livres, Nathan cherchait un vieux tourne-disque. Il m’a souri, on a parlé musique, et la magie a opéré. Deux semaines plus tard, j’emmenageais chez lui, dans son petit deux-pièces du 19e arrondissement. On riait, on rêvait, on se promettait des voyages et des matins paresseux. Puis, le test de grossesse a affiché deux barres roses. J’ai pleuré, il a ri, on s’est embrassés. On croyait que l’amour suffirait.
Mais Bernard, le père de Nathan, n’a jamais vraiment accepté notre histoire. Ancien chef d’entreprise, veuf depuis trois ans, il a toujours eu des idées bien arrêtées sur ce que devait être la vie de son fils. Pour lui, j’étais « la fille sans situation », celle qui risquait de détourner Nathan de sa carrière prometteuse dans la finance. Il n’a jamais pris la peine de me connaître, se contentant de regards froids et de remarques acides lors des rares repas de famille.
Ce soir-là, Bernard est arrivé sans prévenir. Il a toqué, fort, comme s’il voulait défoncer la porte. Nathan a ouvert, surpris. Bernard est entré, son manteau encore sur le dos, et a balancé la phrase qui allait tout changer :
— Je ne laisserai pas mon petit-fils naître dans ces conditions. Vous devez réfléchir à ce que vous faites.
J’ai senti la honte m’envahir, comme si tout ce que j’étais, tout ce que nous avions construit, ne valait rien à ses yeux. Nathan a tenté de protester :
— Papa, arrête, tu ne comprends pas…
Mais Bernard l’a coupé :
— Je comprends très bien. Tu gâches tout pour une fille qui n’a même pas de CDI !
J’ai voulu répondre, crier, pleurer, mais les mots sont restés coincés dans ma gorge. Bernard a continué, implacable :
— Je peux vous aider, mais à une condition : Camille doit retourner vivre chez ses parents, le temps que vous mettiez de l’ordre dans vos vies.
Nathan s’est levé d’un bond :
— Tu ne peux pas nous demander ça !
— Je peux tout, Nathan. Je suis ton père. Et je ne laisserai pas mon petit-fils grandir dans la précarité.
Après son départ, le silence s’est installé. Nathan n’a pas osé me regarder. J’ai passé la nuit à tourner en rond, à me demander si j’étais vraiment le problème. Le lendemain, j’ai appelé ma mère à Lyon. Elle a pleuré, elle aussi, mais m’a dit de tenir bon.
Les jours suivants ont été un enfer. Bernard appelait Nathan tous les soirs, lui envoyait des annonces d’appartements plus grands, des offres d’emploi pour moi, comme si je n’étais qu’un dossier à traiter. Nathan, épuisé, a commencé à douter. Un soir, il m’a dit :
— Peut-être qu’il a raison… On n’a pas d’argent, on vit dans 40m2, tu n’as pas de boulot stable…
J’ai explosé :
— Tu veux que je parte ? Que je retourne chez mes parents comme une gamine ?
Il a baissé les yeux :
— Je veux juste ce qu’il y a de mieux pour le bébé.
J’ai claqué la porte et suis sortie marcher dans la nuit parisienne, le ventre serré par l’angoisse. J’ai croisé des couples qui riaient, des familles qui dînaient derrière leurs fenêtres éclairées. J’ai pensé à mon père, mort trop tôt, à ma mère qui s’est battue seule pour moi. Je me suis promis de ne pas laisser Bernard décider de ma vie.
Mais la pression est devenue insupportable. Bernard a menacé de couper les vivres à Nathan, de lui retirer la caution de l’appartement. Nathan a cédé. Il m’a demandé de partir « juste quelques semaines », le temps de « calmer son père ».
J’ai fait ma valise en silence. Nathan m’a embrassée, les yeux rouges. Il a murmuré :
— Je t’aime, Camille. Je te promets qu’on va s’en sortir.
Je suis retournée à Lyon, chez ma mère. Les semaines sont devenues des mois. Nathan m’appelait de moins en moins. Bernard, lui, envoyait des messages polis, presque hypocrites : « J’espère que tu vas bien. Prends soin du bébé. »
J’ai accouché seule, un matin de mars, dans une chambre d’hôpital impersonnelle. Ma mère tenait ma main. Nathan est arrivé deux heures plus tard, essoufflé, les bras chargés de fleurs. Il a pleuré en voyant notre fils. Mais il n’est pas resté longtemps. Bernard l’attendait en bas, dans sa voiture noire.
Aujourd’hui, mon fils a six mois. Nathan vient le voir un week-end sur deux. Bernard ne l’a jamais rencontré. Parfois, je me demande si j’aurais dû me battre plus fort, ou si j’ai eu raison de protéger mon enfant de cette famille toxique.
Est-ce qu’on peut vraiment choisir sa famille ? Ou bien sommes-nous condamnés à subir les choix des autres ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?