Karma au Rayon Cinq : Drame au Supermarché du Quartier
— Tu peux prendre les œufs, Claire ? Je m’occupe du pain, lança Julien en s’éloignant déjà vers la boulangerie du fond.
Je restai figée un instant, le panier à la main, le cœur battant plus vite que d’habitude. Pas à cause des œufs, non. Mais parce que, depuis quelques semaines, chaque sortie avec Julien était tendue. On ne se parlait plus vraiment. On s’évitait, on se frôlait à peine. J’avais l’impression de marcher sur des œufs, justement.
Je me dirigeai vers le rayon frais, tentant d’ignorer la boule dans mon ventre. Les néons blafards accentuaient la pâleur de mon visage dans la vitre du frigo. Je pris une boîte d’œufs bio – trop chère, mais Julien y tenait – quand une voix familière me glaça le sang.
— Claire ? C’est bien toi ?
Je me retournai lentement. Devant moi se tenait Sophie, mon ancienne meilleure amie, celle que je n’avais pas revue depuis… depuis ce fameux soir où tout avait explosé entre nous. Elle portait un uniforme du magasin, badge « Responsable de caisse » épinglé sur la poitrine.
— Sophie…
Son sourire était crispé. Je sentais la tension dans l’air, comme si tout le supermarché s’était arrêté de respirer.
— Ça fait longtemps… Tu fais tes courses ici maintenant ?
Je bredouillai un « oui » maladroit. Derrière moi, Julien revenait déjà, baguette sous le bras.
— On y va ? demanda-t-il sans même regarder Sophie.
Elle le fixa un instant, puis détourna les yeux vers moi. Je sentais son regard brûlant sur ma peau. Elle savait. Elle savait tout.
— Tu travailles ici ? demandai-je pour briser le silence.
— Oui. Depuis deux ans. Pas le choix…
Son ton était sec. Je me rappelai soudain pourquoi nous nous étions disputées : une histoire d’argent prêté et jamais rendu, des mots trop durs échangés, et puis ce secret que j’avais trahi sans le vouloir. Depuis, je portais cette culpabilité comme un fardeau invisible.
Julien s’impatienta :
— On a encore beaucoup à prendre ?
Sophie le fixa à nouveau, puis me lança :
— Tu sais Claire, parfois la vie nous remet face à nos erreurs…
Je rougis violemment. Julien fronça les sourcils.
— Qu’est-ce qu’elle veut dire ?
Je baissai les yeux. Sophie s’éloigna sans un mot de plus, laissant derrière elle un parfum d’amertume et de regrets.
Nous avons continué nos courses en silence. Julien ne disait rien mais je sentais sa colère monter. Arrivés à la caisse – celle de Sophie évidemment – il posa nos articles sur le tapis avec brusquerie.
— Bonjour, dit-il d’une voix froide.
Sophie scanna les produits sans lever les yeux. Quand elle arriva aux œufs bio, elle s’arrêta net.
— Il manque une boîte sur l’étagère. Vous avez pris la dernière ?
Julien haussa les épaules.
— On n’a pas fait attention…
Sophie me regarda droit dans les yeux :
— C’est toujours pareil avec toi, hein ? Tu prends ce qui reste et tu laisses les autres se débrouiller…
Julien explosa :
— Ça suffit maintenant ! Qu’est-ce que tu insinues ?
Je sentais les regards des autres clients sur nous. J’aurais voulu disparaître dans le sol carrelé.
Sophie poursuivit :
— Peut-être qu’un jour tu comprendras ce que ça fait de manquer…
Je n’en pouvais plus. Les larmes montaient. Je jetai un regard suppliant à Julien qui ne comprenait rien.
— On s’en va, murmurai-je en attrapant le sac de courses.
Dehors, l’air était glacial malgré le printemps. Julien me suivit en silence jusqu’à la voiture.
— Tu vas m’expliquer ce qui vient de se passer ?
Je pris une grande inspiration et lui racontai tout : l’argent que j’avais emprunté à Sophie quand j’étais au chômage, ma promesse de la rembourser vite… et puis mon silence quand j’avais retrouvé du travail mais préféré garder l’argent pour nos vacances à Biarritz. La trahison. La honte.
Julien resta silencieux un long moment.
— Tu aurais dû m’en parler…
Je hochai la tête, incapable de parler.
Le soir même, je suis retournée au supermarché. J’ai attendu que Sophie termine son service et je l’ai abordée sur le parking.
— Je suis désolée, Sophie. Vraiment. J’ai été lâche et égoïste… Tiens.
Je lui tendis une enveloppe avec l’argent que je lui devais depuis si longtemps.
Elle hésita puis prit l’enveloppe sans un mot. Ses yeux brillaient dans la lumière des lampadaires.
— Tu sais Claire… Ce n’est pas seulement l’argent qui m’a blessée. C’est que tu sois partie sans rien dire…
J’ai senti mes jambes trembler.
— Je sais. Je ne peux pas effacer ce que j’ai fait. Mais je veux essayer de réparer…
Un silence lourd s’installa entre nous. Puis elle soupira :
— Peut-être qu’on pourra recommencer un jour… Mais pas tout de suite.
J’ai hoché la tête en retenant mes larmes.
En rentrant chez moi ce soir-là, j’ai compris que la vraie justice ne vient pas toujours des autres mais de soi-même. Que parfois il faut affronter ses erreurs pour espérer avancer.
Est-ce que vous aussi vous avez déjà fui quelqu’un ou quelque chose par peur d’affronter la vérité ? Est-ce qu’on peut vraiment réparer le passé ou faut-il apprendre à vivre avec ses cicatrices ?