« Je suis heureux que tu portes mon enfant, mais je pars » – Histoire d’une Française entre amour et solitude

« Je suis heureux que tu portes mon enfant, mais je pars. »

La voix de Julien résonne encore dans ma tête, froide et tranchante comme une lame. Je me souviens de ce matin de novembre, la pluie battant contre les vitres de notre petit appartement à Lyon. J’étais assise sur le canapé, les mains tremblantes autour d’une tasse de thé, le test de grossesse positif posé devant moi. J’attendais qu’il rentre du travail, le cœur battant, partagée entre la peur et l’espoir. Quand il est arrivé, j’ai à peine eu le temps de lui annoncer la nouvelle qu’il a détourné les yeux, muré dans un silence glacial.

— Camille… Je suis heureux que tu portes mon enfant, mais… je pars. Je ne peux pas rester. J’aime quelqu’un d’autre.

J’ai cru que le sol s’ouvrait sous mes pieds. Les mots se sont écrasés dans ma gorge, incapables de sortir. Il a pris sa veste, a claqué la porte sans un regard en arrière. J’ai entendu ses pas dans l’escalier, puis plus rien. Le silence. Un silence assourdissant qui m’a enveloppée comme un linceul.

Les jours suivants ont été un brouillard épais. Ma mère, Françoise, m’a appelée tous les soirs, inquiète de mon silence. Je n’ai rien dit au début. Comment expliquer à sa propre mère qu’on est enceinte et abandonnée ? Je savais déjà ce qu’elle penserait : « Tu n’aurais pas dû te précipiter avec Julien… » ou « Tu sais bien que dans notre famille, on ne fait pas d’enfants sans être mariés ! »

Mais la vérité finit toujours par éclater. Un soir, alors que je pleurais dans ma chambre d’enfance – car oui, j’avais dû retourner chez mes parents à Villeurbanne – elle est entrée sans frapper.

— Camille, tu vas me dire ce qui se passe ? Tu n’es plus la même depuis des semaines.

J’ai craqué. Les mots sont sortis en sanglots :

— Maman… Je suis enceinte. Julien m’a quittée.

Elle est restée figée quelques secondes, puis a soupiré profondément.

— Ma fille… Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Je n’ai pas su quoi répondre. Peut-être parce que j’avais honte. Honte d’avoir cru en l’amour, honte d’être seule à porter ce fardeau.

Les mois ont passé. Le ventre s’est arrondi, les regards aussi. Dans la boulangerie où je travaillais, les clientes chuchotaient derrière mon dos :

— Tu as vu Camille ? Elle attend un bébé… On ne voit jamais le père.

Je faisais semblant de ne rien entendre, mais chaque mot était une gifle. Même mon père, Bernard, évitait le sujet. À table, il parlait du temps ou du prix du carburant, mais jamais de moi, jamais du bébé.

Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur les toits de la ville, ma meilleure amie Sophie est venue me voir.

— Camille, tu ne peux pas continuer comme ça. Tu dois penser à toi maintenant. À ton enfant.

Je l’ai regardée, épuisée.

— Mais comment faire ? Je n’ai pas de travail stable, pas d’appartement… Je suis seule.

Elle a pris ma main.

— Tu n’es pas seule. Je suis là. Et puis… tu es forte. Plus forte que tu ne le crois.

Ses mots m’ont réchauffée un instant. Mais la nuit venue, la peur revenait toujours : comment allais-je élever cet enfant ? Comment affronter les regards, les jugements ?

Le jour de l’accouchement est arrivé plus vite que je ne l’aurais cru. À l’hôpital Édouard-Herriot, j’ai serré les dents pendant des heures. Ma mère était là, silencieuse mais présente. Quand j’ai enfin entendu le cri de mon fils – Paul – j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

Dans les semaines qui ont suivi, j’ai découvert une force insoupçonnée en moi. Paul était tout ce qui me restait de Julien, mais il était surtout mon fils, ma lumière dans la nuit.

Un après-midi de printemps, alors que je promenais Paul dans le parc de la Tête d’Or, j’ai croisé Julien au bras d’une autre femme. Il m’a vue, a hésité puis s’est approché.

— Camille… Comment vas-tu ?

J’ai senti la colère monter.

— Comment tu crois que je vais ? Tu m’as laissée seule avec ton enfant !

Il a baissé les yeux.

— Je suis désolé… Vraiment. Mais je ne pouvais pas rester. Ce n’était pas toi… ce n’était pas nous.

J’ai serré Paul contre moi.

— Tu sais quoi ? Je n’ai plus besoin de toi pour être heureuse.

Il est reparti sans un mot. Cette fois-ci, c’est moi qui ai tourné la page.

Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. Les nuits sont longues parfois, et la solitude pèse lourd. Mais quand je regarde Paul dormir, je me dis que tout ce chemin en valait la peine.

Est-ce qu’on doit continuer à croire en l’amour après avoir été trahie ? Ou faut-il apprendre à s’aimer soi-même avant tout ? Qu’en pensez-vous ?