Je n’aiderai ma fille que si elle quitte son bon à rien de mari
« Tu ne comprends pas, maman ! » Camille hurle, les larmes aux yeux, serrant Lucie contre elle. Je reste figée, la main crispée sur la table en formica, le regard planté dans le sien. Je sens la colère monter, cette colère froide qui me fait trembler. Depuis des mois, je vois ma fille dépérir, s’effacer derrière un homme qui ne fait rien pour elle, ni pour leur enfant.
« Non, Camille, c’est toi qui refuses de voir la vérité ! » Ma voix claque dans la cuisine. « Tu travailles quarante heures par semaine à l’hôpital, tu rentres lessivée, et lui ? Il traîne à la maison, il bricole deux heures chez le voisin et il ose t’appeler ‘ma chérie’ quand tu rentres ? »
Camille détourne les yeux. Je vois ses mains trembler. Lucie, trois ans à peine, serre sa peluche contre elle et me regarde avec ses grands yeux inquiets. Je sens mon cœur se fissurer. J’aimerais prendre ma fille dans mes bras, lui dire que tout ira bien. Mais je ne peux plus mentir.
Depuis qu’elle a épousé Julien, tout a changé. Avant, Camille riait tout le temps. Elle avait des rêves : voyager, reprendre ses études, offrir une belle vie à sa fille. Mais Julien… Julien n’a jamais voulu s’engager. Il a quitté son boulot d’électricien parce que « le patron était un con ». Depuis, il enchaîne les petits boulots au noir, rentre tard ou pas du tout, dépense le peu d’argent qu’il gagne dans des jeux à gratter ou des bières avec ses copains.
Je me souviens du jour où Camille m’a annoncé qu’elle était enceinte. Elle avait vingt-deux ans, les yeux brillants de bonheur et d’inquiétude. J’ai eu peur pour elle, mais j’ai promis d’être là. Aujourd’hui encore, je veux l’aider. Mais je ne peux pas continuer à regarder ma fille s’enfoncer dans cette vie sans réagir.
« Maman… » Sa voix est brisée. « Je sais que Julien n’est pas parfait. Mais c’est le père de Lucie… »
Je soupire. « Et alors ? Tu crois que Lucie mérite de grandir dans la galère ? Tu crois qu’elle ne voit pas que tu pleures tous les soirs ? »
Camille éclate en sanglots. Je voudrais la consoler, mais je suis fatiguée de faire semblant. Depuis un an, je paie les factures en retard, je remplis leur frigo quand je peux, je garde Lucie quand Camille travaille de nuit. Julien ne m’a jamais remerciée. Pire : il m’évite.
Un soir de décembre, alors que la neige tombe sur notre petit immeuble de banlieue lyonnaise, Camille débarque chez moi avec Lucie endormie dans les bras. Elle a le visage marqué par la fatigue et les yeux rouges d’avoir trop pleuré.
« Il est encore parti ? » je demande doucement.
Elle hoche la tête. « Il m’a dit qu’il allait chercher du travail… mais il n’est jamais revenu. »
Je serre ma fille contre moi. « Tu ne peux pas continuer comme ça, Camille. Je t’aiderai… mais seulement si tu prends une décision pour toi et pour Lucie. »
Elle me regarde, désemparée. « Tu veux que je le quitte ? »
Je ferme les yeux un instant. « Je veux que tu sois heureuse. Que tu sois libre. Que tu arrêtes de porter tout ce poids toute seule pendant que lui ne fait rien. »
Les semaines passent. Camille hésite, recule, avance d’un pas puis de deux en arrière. Julien revient parfois, promet de changer, jure qu’il va trouver un vrai travail… Mais rien ne change jamais vraiment.
Un dimanche matin, alors que je prépare le café dans ma petite cuisine jaune, Camille arrive avec une valise.
« C’est fini », murmure-t-elle.
Je vois dans ses yeux une tristesse immense… mais aussi un éclat nouveau. Elle s’effondre dans mes bras et pleure longtemps.
Les premiers mois sont difficiles. Julien menace de demander la garde de Lucie pour faire pression sur Camille ; il vient crier sous mes fenêtres certains soirs. Mais peu à peu, Camille reprend des couleurs. Elle trouve un appartement social non loin de chez moi ; elle décroche un CDI à l’hôpital ; elle sourit à nouveau.
Un soir d’été, alors que nous dînons sur mon balcon avec Lucie qui joue à nos pieds, Camille me prend la main.
« Merci maman… Si tu ne m’avais pas poussée à ouvrir les yeux… »
Je serre sa main fort. « Tu as eu le courage de choisir ta vie. »
Parfois je me demande : ai-je eu raison d’être aussi dure ? Est-ce qu’on peut vraiment forcer ceux qu’on aime à quitter ce qui les détruit ? Ou faut-il simplement attendre qu’ils trouvent eux-mêmes la force de partir ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous pour sauver vos enfants d’eux-mêmes ?