Je n’ai jamais voulu être belle-mère : Histoire d’amour, de limites et de douleur

— Tu n’es pas ma mère, alors arrête de faire comme si tu l’étais !

La voix de Camille résonne encore dans ma tête, tranchante, pleine d’une colère que je n’avais pas vue venir. Je suis restée figée, la main sur la poignée de la porte de sa chambre, incapable de répondre. Ce soir-là, dans notre appartement du 11e arrondissement de Paris, j’ai compris que rien ne serait jamais simple.

Je m’appelle Claire. J’ai trente-cinq ans et je n’ai jamais voulu être belle-mère. Pourtant, il y a deux ans, j’ai rencontré Laurent lors d’un vernissage à la galerie Beaubourg. Il était charmant, drôle, un peu maladroit. J’ai tout de suite été attirée par sa douceur et sa façon de parler de la vie. Ce n’est qu’au troisième rendez-vous qu’il m’a parlé de Camille, sa fille de huit ans, qu’il voyait un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.

Au début, cela ne me dérangeait pas. Je me disais que ce serait facile : un enfant bien élevé, une garde alternée, une ex-femme (Sophie) qui semblait raisonnable. Mais la réalité s’est imposée à moi comme une gifle le jour où Laurent m’a proposé d’emménager avec lui. « Tu verras, Camille t’adorera », m’avait-il promis en souriant. J’ai accepté, par amour pour lui, sans mesurer ce que cela impliquait vraiment.

Le premier week-end où Camille est venue vivre avec nous reste gravé dans ma mémoire. Elle est arrivée avec son petit sac à dos rose, ses cheveux bruns en bataille et un regard méfiant. J’avais préparé un gâteau au chocolat pour l’accueillir. Elle l’a à peine touché. Dès le lendemain matin, elle a refusé de s’asseoir à côté de moi à table. Laurent tentait maladroitement de détendre l’atmosphère :

— Camille, tu veux du jus d’orange ?
— Je veux que maman vienne me chercher.

J’ai senti mon cœur se serrer. Je me suis efforcée d’être patiente, gentille, compréhensive. Mais chaque geste était interprété comme une intrusion. Un jour, j’ai retrouvé ses dessins déchirés dans la poubelle après avoir osé lui suggérer une activité ensemble.

Les semaines ont passé et la tension s’est installée. Laurent faisait tout pour ménager les deux camps, mais je voyais bien qu’il souffrait aussi. Un soir, alors qu’il croyait que je dormais, je l’ai entendu pleurer dans la salle de bain. J’ai eu envie de le rejoindre, mais je suis restée figée dans le lit, envahie par un sentiment de culpabilité et d’impuissance.

Les disputes ont commencé à éclater entre nous. Je lui reprochais son manque de fermeté avec Camille ; il me reprochait mon manque d’empathie. Un soir, après une énième crise où Camille avait refusé de dîner avec nous, j’ai explosé :

— Je ne peux pas continuer comme ça ! Je ne suis pas sa mère et elle ne veut pas de moi !

Laurent a baissé les yeux. Il a murmuré :

— Je t’aime Claire… Mais Camille passera toujours avant tout.

Cette phrase m’a transpercée. J’ai compris que je n’aurais jamais la première place dans sa vie. J’ai commencé à douter : étais-je égoïste ? N’étais-je pas capable d’aimer un enfant qui n’était pas le mien ?

La situation s’est aggravée lorsque Sophie a appris que Camille refusait de venir certains week-ends. Elle m’a appelée un soir :

— Claire, je sais que ce n’est pas facile pour toi… Mais Camille souffre beaucoup depuis que tu es là. Peut-être qu’il faudrait que tu prennes un peu de distance ?

J’ai raccroché en larmes. Je me sentais rejetée par tous les côtés : par Camille qui me haïssait, par Laurent qui me reprochait mon manque d’efforts, par Sophie qui me voyait comme une intruse.

J’ai essayé d’en parler à ma mère lors d’un déjeuner dominical à Vincennes.

— Tu sais maman… Je crois que je ne suis pas faite pour être belle-mère.
— Personne ne l’est vraiment au début, m’a-t-elle répondu doucement. Mais il faut du temps… Et beaucoup d’amour.

Mais l’amour ne suffit pas toujours. Un soir d’hiver, après une dispute particulièrement violente avec Camille — elle avait hurlé que j’avais volé son père — j’ai fait ma valise et je suis partie chez une amie à Montreuil. Laurent m’a appelée toute la nuit ; je n’ai pas répondu.

Les jours suivants ont été un mélange de soulagement et de tristesse profonde. J’avais l’impression d’avoir échoué sur toute la ligne : en tant que compagne, en tant que femme adulte censée comprendre les enfants des autres. J’ai consulté une psychologue qui m’a dit :

— Vous avez le droit de poser vos limites. Ce n’est pas parce que vous aimez un homme que vous devez tout accepter.

J’ai fini par retourner chez Laurent pour discuter calmement. Nous avons décidé d’espacer les week-ends ensemble avec Camille et de prendre du temps pour notre couple. Ce compromis a apaisé les tensions mais a laissé des cicatrices.

Aujourd’hui encore, je me demande si j’ai fait les bons choix. Camille a grandi ; elle me tolère sans vraiment m’accepter. Avec Laurent, notre amour a survécu mais il n’est plus aussi insouciant qu’au début.

Est-ce qu’on peut vraiment aimer l’enfant d’une autre ? Est-ce qu’on a le droit de dire non à un rôle qu’on n’a jamais voulu ?

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ?