Ils m’ont dit de retourner vers lui : le jour où mes parents m’ont fermée dehors
« Tu exagères, Camille. Retourne chez ton mari, il t’aime, il est juste un peu nerveux. »
La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, alors que la pluie ruisselle sur mon visage. Je serre mon manteau contre moi, debout devant la porte de la maison où j’ai grandi, cette maison qui sentait autrefois la tarte aux pommes et la lavande. Aujourd’hui, elle me rejette, tout comme ceux qui y vivent.
Je suis arrivée en courant, trempée, le souffle court, les mains tremblantes. J’avais fui l’appartement de Vincent, mon mari, après une dispute de trop. Cette fois, il avait levé la main. Pas la première fois, mais la première où j’ai eu le courage de partir. Je croyais naïvement que mes parents m’ouvriraient les bras, qu’ils comprendraient, qu’ils me protégeraient. Mais non. Mon père, assis dans son fauteuil, n’a même pas levé les yeux de son journal. Ma mère, debout dans l’entrée, m’a regardée comme si j’étais une étrangère.
« Camille, tu sais bien que dans un couple, il y a des hauts et des bas. Tu dois apprendre à pardonner. »
J’ai voulu crier, leur montrer les marques sur mon bras, leur raconter les nuits blanches, la peur, la honte. Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge. J’ai vu dans leurs yeux la peur du scandale, la peur du qu’en-dira-t-on dans notre petite ville de Tours. Ici, on ne parle pas de ces choses-là. On cache, on étouffe, on fait comme si tout allait bien.
« Je ne peux pas rentrer, maman. Il m’a frappée. »
Elle a détourné le regard, gênée. Mon père a soupiré : « Tu as sûrement provoqué Vincent. Il travaille dur, il est fatigué. »
J’ai senti la colère monter, mais aussi une immense tristesse. Comment pouvaient-ils me trahir ainsi ? N’étais-je pas leur fille ?
Je me suis retrouvée dehors, sous la pluie, la porte claquée derrière moi. J’ai marché sans but dans les rues sombres, croisant des voisins qui détournaient les yeux. J’ai fini par m’asseoir sur un banc, tremblante, seule. Mon téléphone vibrait : Vincent. Je n’ai pas répondu. J’ai pensé à appeler ma sœur, Élodie, mais elle vit à Lyon, loin de tout ça, loin de nos parents et de leurs principes étouffants.
Le lendemain, je suis retournée à l’appartement, faute de mieux. Vincent m’a accueillie avec des fleurs et des excuses. « Je t’aime, Camille. Je ne recommencerai plus. » J’ai voulu le croire. Mais la peur ne m’a plus quittée. Chaque bruit, chaque geste brusque me faisait sursauter. Je n’étais plus moi-même.
Les semaines ont passé. Mes parents faisaient comme si de rien n’était. Ma mère m’appelait pour parler du marché, des voisins, jamais de moi. Un jour, j’ai craqué. J’ai pris le train pour Lyon, sans prévenir personne. Élodie m’a ouvert la porte sans poser de questions. Elle m’a serrée fort dans ses bras, et j’ai pleuré comme une enfant.
« Pourquoi ils ne m’ont pas aidée ? »
Élodie a soupiré : « Tu sais comment ils sont. L’image de la famille, c’est tout ce qui compte pour eux. »
Chez elle, j’ai commencé à me reconstruire. J’ai trouvé un travail dans une librairie, j’ai rencontré des femmes qui avaient vécu la même chose. J’ai compris que je n’étais pas seule, que le silence n’était pas une fatalité. J’ai porté plainte contre Vincent. Le procès a été difficile. Mes parents ne sont pas venus. Ils m’ont écrit une lettre : « Tu salis notre nom. »
J’ai pleuré, j’ai hurlé, puis j’ai décidé de vivre pour moi. Aujourd’hui, je regarde en arrière avec douleur, mais aussi avec fierté. J’ai survécu à l’abandon, à la honte, à la peur. J’ai appris que la famille, ce n’est pas toujours ceux qui partagent notre sang.
Parfois, je me demande : combien d’autres femmes comme moi sont renvoyées chez elles, au nom de l’honneur ou du silence ? Combien de portes se ferment alors qu’on a juste besoin d’un peu de chaleur ?
Et vous, qu’auriez-vous fait à la place de mes parents ?