Il m’a quittée pour une autre… et il a osé revenir

« Françoise, je… je dois partir. »

Sa voix tremblait à peine, mais ses yeux évitaient les miens. Bernard tenait déjà sa vieille valise marron, celle qu’on utilisait pour les vacances en Bretagne. Je serrais mon mug de café si fort que j’ai cru qu’il allait se fendre. Il n’a pas attendu ma réponse. Il a traversé le couloir, a ouvert la porte d’un geste sec et s’est engouffré dans la nuit d’octobre. Pas un regard en arrière. Pas un mot de plus.

Je suis restée figée, le cœur battant trop vite, le silence de l’appartement me hurlant dans les oreilles. Trente ans de vie commune, balayés en une phrase. Trente ans de petits-déjeuners partagés, de factures réglées ensemble, de disputes sur la couleur du salon, de silences complices devant le journal télévisé… Tout ça pour quoi ? Pour « ressentir quelque chose de vrai », comme il l’a dit. Pour une femme plus jeune, rencontrée à la salle de sport où il allait depuis sa retraite.

Les jours suivants, j’ai erré comme une âme en peine dans notre appartement du 12ème arrondissement. Les voisins me lançaient des regards gênés dans l’ascenseur. Ma sœur, Hélène, m’appelait tous les soirs :

— Tu veux que je vienne dormir chez toi ?
— Non, laisse… Je dois réfléchir.

Mais réfléchir à quoi ? À ce que j’avais raté ? À ce que j’aurais dû voir venir ? Je me suis surprise à fouiller dans nos albums photos, à relire ses textos banals : « Je prends du pain », « Tu veux du fromage ce soir ? »… Rien qui laissait présager la tempête.

Au travail, mes collègues évitaient le sujet. Sauf Sophie, la plus jeune du service, qui a murmuré un jour à la machine à café :

— Vous savez, Françoise, les hommes… ils ont parfois peur de vieillir.

J’ai haussé les épaules. Peur de vieillir ? Et moi alors ? Je n’avais pas peur ?

Les mois ont passé. J’ai appris à vivre seule. J’ai changé la disposition des meubles du salon, repeint la chambre en bleu nuit. J’ai même adopté un chat, Gustave, qui miaulait chaque matin pour avoir sa pâtée. Petit à petit, j’ai retrouvé un semblant d’équilibre. Je sortais avec mes amies au cinéma du quartier Latin, je me suis inscrite à un atelier d’écriture à la médiathèque.

Et puis un soir de janvier, alors que Paris grelottait sous la pluie, mon téléphone a sonné. Son nom s’est affiché : Bernard.

— Allô ?
— Françoise… c’est moi. Je peux passer te voir ?

J’ai senti mon cœur se serrer. J’ai hésité. Puis j’ai dit oui.

Il est arrivé une heure plus tard, trempé jusqu’aux os. Il avait l’air fatigué, vieilli. Il s’est assis sur le canapé — notre canapé — et a regardé autour de lui comme s’il découvrait l’appartement pour la première fois.

— Je… Je me suis trompé, Françoise. Elle… elle n’était pas toi. J’ai cru que je pouvais recommencer à zéro, mais tout me manque ici. Toi, ta façon de râler quand je laisse traîner mes chaussettes, même tes silences me manquent.

J’ai eu envie de rire et de pleurer à la fois.

— Tu veux revenir ? Après tout ça ?

Il a baissé la tête.

— Je comprends si tu refuses. Mais je n’ai plus rien là-bas. Elle m’a quitté pour un autre… Je suis fatigué d’être seul.

J’ai senti la colère monter en moi :

— Tu veux revenir parce que tu es seul ? Pas parce que tu m’aimes ?

Il a rougi, bafouillé quelques mots inaudibles.

Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’ai repensé à toutes ces années où j’avais mis mes envies de côté pour lui, pour notre famille. À toutes ces fois où j’avais accepté ses silences, ses absences sous prétexte qu’il était « fatigué » ou « préoccupé ». Et maintenant il revenait parce qu’il avait peur d’être vieux et seul ?

Le lendemain matin, il était encore là, assis dans la cuisine avec Gustave sur les genoux.

— Françoise… Je ne mérite pas ton pardon. Mais je te demande juste une chance.

J’ai regardé par la fenêtre : Paris s’éveillait lentement sous un ciel gris perle. J’ai pensé à toutes ces femmes comme moi qui se retrouvent seules après des années de dévouement silencieux. À toutes celles qui n’osent pas dire non par peur du vide.

— Bernard… Je ne sais pas si je peux te pardonner. Peut-être qu’on ne revient jamais vraiment en arrière. Peut-être qu’il faut apprendre à vivre avec les cicatrices.

Il a pleuré doucement. Moi aussi.

Aujourd’hui encore, je ne sais pas ce que je vais décider. Ouvrir à nouveau mon cœur ou tourner la page définitivement ? Est-ce qu’on peut vraiment reconstruire quelque chose après une telle trahison ?

Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ? Peut-on vraiment pardonner l’impardonnable ?