« Il faut qu’on vive séparément un moment », dit-il : Chronique d’un amour fissuré à Paris
« Il faut qu’on vive séparément un moment. »
La phrase est tombée comme une lame de guillotine, froide et nette. Je me souviens de la lumière blafarde de la cuisine, du bruit du métro qui passait au loin, et du regard fuyant de Thomas. Je n’ai rien dit, pas tout de suite. J’ai senti mon cœur se serrer, mes mains trembler. Lui, il fixait la table, évitant mes yeux comme s’il avait honte de ce qu’il venait de prononcer.
« Tu plaisantes ? » ai-je murmuré, la voix étranglée.
Il a secoué la tête, les lèvres pincées. « Non, Camille. Je crois qu’on a besoin de prendre du recul. »
J’ai éclaté de rire, un rire nerveux qui sonnait faux dans l’appartement trop silencieux. « Prendre du recul ? Mais tout va bien ! On a un bel appart, tu as ton boulot à la Défense, je viens d’avoir ma promotion… Tout le monde nous envie ! »
Il a relevé les yeux vers moi, bleus et fatigués. « Justement. Tout le monde croit que tout va bien. Mais moi… je me sens perdu. »
À cet instant, j’ai compris que quelque chose s’était brisé. Pas seulement entre nous, mais en moi aussi. J’ai pensé à mes amies – Sophie, qui m’envoyait des messages chaque semaine pour me dire à quel point elle rêvait d’avoir un couple comme le nôtre ; Claire, qui m’enviait notre appartement lumineux du 11ème ; même ma mère, qui me répétait que j’avais « enfin trouvé un homme bien ».
Mais ce soir-là, j’étais seule face à la vérité : notre bonheur n’était peut-être qu’une façade.
Les jours suivants ont été un supplice. Thomas est parti chez son frère à Montreuil. J’ai erré dans l’appartement vide, chaque objet me rappelant un souvenir : le mug avec son initiale, la veste oubliée sur le canapé, la photo de nous deux devant le Sacré-Cœur. Les messages de mes amies se sont multipliés : « Alors, le week-end à Deauville ? », « Toujours aussi amoureux ? ». Je ne savais pas quoi répondre.
Un soir, ma mère m’a appelée. « Camille, tu as l’air fatiguée. Tout va bien avec Thomas ? »
J’ai hésité. Mentir aurait été plus simple. Mais j’ai craqué : « Il est parti… Il veut qu’on fasse une pause. »
Un silence gênant a suivi. Puis sa voix, dure : « Tu as dû faire quelque chose pour qu’il parte comme ça. Les hommes ne quittent pas une femme sans raison. »
J’ai raccroché en larmes. Pourquoi fallait-il toujours que ce soit la faute des femmes ? Pourquoi devais-je porter seule le poids de cet échec ?
Les semaines ont passé. J’ai repris le travail, tentant de sourire devant mes collègues qui me demandaient des nouvelles de Thomas avec une curiosité mal dissimulée. Le soir, je rentrais dans mon appartement trop grand pour moi seule et je me demandais si j’avais raté quelque chose, si j’aurais pu être une meilleure compagne.
Un samedi matin, Sophie a débarqué chez moi avec des croissants et une bouteille de jus d’orange.
« Bon, ça suffit ! Tu vas arrêter de te morfondre et sortir avec moi ce soir ! »
J’ai protesté mollement, mais elle n’a rien voulu savoir.
Le soir venu, nous étions attablées dans un petit bar du Marais. Autour de nous, les gens riaient, s’embrassaient, vivaient. J’avais l’impression d’être invisible.
Sophie a posé sa main sur la mienne : « Tu sais Camille… Peut-être que c’est mieux comme ça. Peut-être que tu mérites quelqu’un qui ne doute pas de toi. »
Ses mots m’ont frappée en plein cœur. Et si elle avait raison ? Et si j’avais passé trop de temps à essayer d’être parfaite aux yeux des autres ?
Quelques jours plus tard, Thomas m’a appelée.
« On peut se voir ? »
Nous nous sommes retrouvés dans un café près du canal Saint-Martin. Il avait l’air changé – plus maigre, plus triste.
« Je suis désolé », a-t-il murmuré en triturant sa tasse de café. « Je croyais que c’était toi le problème… Mais c’est moi qui ne sais pas ce que je veux. »
J’ai senti une colère froide monter en moi.
« Tu aurais pu me parler avant de tout casser », ai-je répliqué.
Il a hoché la tête : « Je sais… Je voulais juste… respirer. »
Nous sommes restés là, silencieux, à regarder les passants défiler sous la pluie fine de novembre.
En rentrant chez moi ce soir-là, j’ai compris que je ne voulais plus vivre pour les autres – ni pour Thomas, ni pour ma mère, ni pour mes amies. J’avais le droit d’être imparfaite, d’être triste, d’être en colère.
Aujourd’hui encore, je me demande : combien d’entre nous vivent pour l’image qu’ils renvoient aux autres ? Combien sacrifient leur bonheur pour ne pas décevoir ? Et vous… jusqu’où iriez-vous pour sauver les apparences ?