Fuis, avant qu’il ne soit trop tard – L’histoire de Claire, une femme française face à la violence conjugale

« Tu n’es bonne à rien, Claire ! » La voix de Paul résonne encore dans ma tête, tranchante comme un couteau. Ce soir-là, il a jeté mon assiette contre le mur de la cuisine, les éclats de porcelaine volant autour de moi comme des projectiles. Je suis restée figée, incapable de bouger, le cœur battant à tout rompre. J’ai senti sa main s’abattre sur ma joue, chaude, brûlante, et j’ai compris que quelque chose venait de se briser à jamais.

Je m’appelle Claire Martin. J’ai grandi à Angers, dans une famille modeste mais aimante. Ma mère, Lucie, m’a toujours appris à me battre pour ce que je voulais. Mais face à Paul, j’ai tout oublié. Nous nous sommes rencontrés à la fac de droit à Nantes. Il était brillant, charismatique, drôle. Je suis tombée amoureuse de lui comme on tombe d’une falaise : sans réfléchir, sans filet.

Au début, tout était parfait. Paul me couvrait de cadeaux, de mots doux. Il disait que j’étais la femme de sa vie. Mais après notre mariage, les choses ont changé. Il est devenu jaloux, possessif. Il voulait savoir où j’étais à chaque instant. « C’est normal, Claire, c’est parce que je t’aime », disait-il en souriant. J’ai voulu y croire.

La première gifle est arrivée un soir d’hiver, après une dispute banale sur l’argent. J’ai pleuré toute la nuit dans la salle de bains, recroquevillée sur le carrelage froid. Le lendemain matin, il m’a apporté des fleurs et m’a suppliée de lui pardonner. « Je ne recommencerai plus jamais », a-t-il promis. J’ai voulu le croire.

Mais les violences sont revenues, plus fréquentes, plus violentes. Les insultes aussi : « Tu es nulle », « Tu ne sers à rien », « Personne ne t’aimera jamais comme moi ». J’ai commencé à douter de moi-même. Je me suis éloignée de mes amis, de ma famille. Ma mère s’inquiétait :

— Claire, tu as l’air fatiguée… Est-ce que tout va bien avec Paul ?

Je mentais :

— Oui maman, je suis juste stressée par le travail.

La honte me rongeait. Comment avouer que l’homme que j’aimais me détruisait ? Je me disais que c’était de ma faute, que si je faisais plus d’efforts, il redeviendrait celui dont j’étais tombée amoureuse.

Un soir d’été, alors que je préparais le dîner, Paul est rentré plus tôt que prévu. Il a trouvé un message sur mon téléphone : « On se voit bientôt ? » signé Julie, ma meilleure amie d’enfance. Il est entré dans une rage folle.

— Tu me trompes ?! hurla-t-il en me saisissant par les épaules.

J’ai tenté de me dégager :

— Mais non ! C’est Julie !

Il m’a poussée violemment contre le plan de travail. J’ai senti le goût du sang dans ma bouche. Cette nuit-là, j’ai dormi dans la chambre d’amis, la porte fermée à clé.

Le lendemain matin, j’ai appelé Julie en pleurs.

— Julie… je crois que je ne peux plus continuer comme ça.

Elle a insisté pour venir me chercher. Mais j’avais peur. Peur qu’il découvre ma fuite. Peur de ce qu’il pourrait faire.

Les jours suivants ont été un enfer. Paul surveillait tous mes faits et gestes. Il fouillait mon sac, mon téléphone. Je n’étais plus qu’une ombre dans ma propre maison.

Un dimanche matin, alors qu’il était sorti faire des courses, j’ai rassemblé quelques affaires dans un sac et je suis partie en courant chez Julie. Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser.

Chez elle, j’ai éclaté en sanglots.

— Pourquoi je n’ai pas fui plus tôt ? Pourquoi je suis restée si longtemps ?

Julie m’a serrée dans ses bras :

— Ce n’est pas ta faute, Claire. Tu es courageuse d’être partie.

J’ai porté plainte au commissariat du quartier. La policière m’a regardée avec bienveillance :

— Vous avez fait le bon choix, madame Martin. Vous n’êtes pas seule.

Mais la peur ne m’a pas quittée tout de suite. Les nuits étaient longues et peuplées de cauchemars. J’avais peur qu’il débarque chez Julie ou au travail. J’avais honte aussi : comment expliquer à mes collègues pourquoi je portais des lunettes de soleil même à l’intérieur ?

Petit à petit, grâce au soutien de Julie et de ma mère qui a pris le premier train pour venir me voir dès qu’elle a su la vérité, j’ai commencé à reprendre confiance en moi. J’ai trouvé un appartement social grâce à une assistante sociale formidable et j’ai entamé une thérapie.

Un jour, alors que je marchais sur les bords de la Loire avec ma mère, elle m’a dit :

— Je suis fière de toi, Claire. Tu as survécu à l’enfer.

J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps ce jour-là. Mais c’était des larmes de soulagement.

Aujourd’hui encore, il m’arrive d’avoir peur quand j’entends des pas derrière moi dans la rue ou quand le téléphone sonne tard le soir. Mais je sais que je ne suis plus seule et que j’ai le droit d’être heureuse.

À toutes celles qui vivent ce cauchemar en silence : fuyez avant qu’il ne soit trop tard. L’amour ne doit jamais faire mal.

Est-ce que la société française protège vraiment assez ses femmes ? Combien d’entre nous doivent encore souffrir avant que les choses changent enfin ?