Entre l’amour d’une mère et la vie de mon fils : Jusqu’où irais-je pour le protéger ?
« Tu ne comprends donc pas, Paul ? Elle n’est pas faite pour toi ! » Ma voix tremble, mais je ne peux plus me retenir. Nous sommes dans la cuisine, la lumière du matin éclaire les miettes sur la table. Paul, mon fils unique, me regarde avec cette lassitude qui me transperce. Il serre sa tasse de café, les jointures blanches. « Maman, arrête. Je t’en prie. »
Mais comment arrêter ? Depuis qu’il a rencontré Camille, rien n’est plus pareil. Avant, il m’appelait chaque soir, passait tous les dimanches à la maison à Boulogne-Billancourt. Maintenant, il vit avec elle dans ce petit appartement du 15ème arrondissement, et je dois presque supplier pour voir mon petit-fils, Louis.
Je me souviens du jour où il m’a annoncé qu’il allait se marier. J’ai souri, bien sûr. Mais à l’intérieur, j’ai senti une fissure. Camille… Toujours si polie, mais froide. Trop parfaite. Trop distante. Elle ne rit jamais à mes blagues, ne cuisine pas comme il aime. Elle travaille trop, laisse Louis à la crèche jusqu’à 18h. Est-ce ça, être une bonne mère ?
J’ai tout essayé. Les remarques discrètes : « Tu as l’air fatigué, Paul… Camille ne t’aide pas assez ? » Les cadeaux pour Louis – des vêtements trop petits ou des jouets bruyants que Camille déteste. J’ai même proposé de garder Louis tous les mercredis, mais Camille a refusé : « Il a besoin de stabilité. »
Un soir, j’ai franchi une limite. J’ai appelé Paul en pleurs :
— Je me sens seule… Tu ne viens plus jamais.
Il a soupiré :
— Maman, j’ai une famille maintenant.
Ce mot m’a frappée comme une gifle. Sa famille… Et moi alors ?
J’ai commencé à surveiller Camille sur les réseaux sociaux. Elle poste des photos de Louis au parc, sans moi. Elle organise des goûters avec ses amies – toutes ces femmes modernes qui parlent carrière et voyages. Où est ma place ?
Un dimanche, j’ai invité Paul à déjeuner sans Camille. J’ai glissé :
— Tu sais, parfois les gens changent après le mariage… Tu es sûr qu’elle te rend heureux ?
Il a posé sa fourchette.
— Arrête, maman. Je t’aime, mais tu dois accepter Camille.
Mais comment accepter cette femme qui m’a volé mon fils ?
J’ai tenté d’impliquer ma sœur, Françoise. Elle aussi trouve Camille froide :
— Elle ne te regarde même pas dans les yeux !
Nous avons échafaudé des plans : organiser des vacances familiales sans elle, offrir à Paul un week-end père-fils… Rien n’y fait.
Un jour, j’ai surpris une dispute entre eux en venant chercher Louis. Camille pleurait dans la cuisine ; Paul avait l’air épuisé. J’ai cru que c’était le moment :
— Si tu as besoin de parler, je suis là…
Mais il a refermé la porte.
J’ai même envisagé d’appeler les services sociaux – dire que Camille néglige Louis. Mais je n’ai pas pu. Je ne suis pas un monstre.
Les mois passent. Paul s’éloigne de plus en plus. Il ne répond plus à mes messages immédiatement. Il vient seul aux repas de famille.
Un soir d’hiver, alors que Paris s’endort sous la pluie, je reçois un message de Paul :
« Maman, je t’aime mais tu dois arrêter de vouloir contrôler ma vie. Si tu continues, je devrai prendre mes distances pour protéger ma famille. »
Je relis ce message cent fois. Mon cœur se serre. Ai-je tout gâché ?
Le lendemain, je croise Camille devant l’école de Louis. Elle me regarde droit dans les yeux :
— Hélène, je sais que vous voulez le bien de Paul et de Louis. Mais votre attitude nous fait du mal à tous.
Sa voix est douce mais ferme.
Je sens mes jambes trembler.
Je rentre chez moi et m’effondre sur le canapé. Je repense à mon propre mariage raté, à la solitude qui m’a rongée après le départ de mon mari. Paul était tout pour moi… Peut-être ai-je voulu qu’il reste mon petit garçon pour toujours.
Aujourd’hui, je regarde les photos de Louis sur mon téléphone et je pleure en silence.
Ai-je vraiment agi par amour… ou par peur d’être seule ? Est-ce cela, aimer son enfant : vouloir le garder pour soi au risque de le perdre ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?