Entre Deux Feux : Mon Mari, Ma Sœur et le Prix de la Solidarité
« Tu ne comprends donc pas, Julien ? C’est ma sœur ! » Ma voix tremble, résonne dans la cuisine où la lumière du matin peine à dissiper la tension. Julien, adossé au plan de travail, croise les bras, le visage fermé. Il ne cille pas. « Camille, je t’ai dit ce que je pensais. Si tu veux que j’aide Sophie à payer son loyer, il faut que tu acceptes de passer Noël chez mes parents cette année. Pas chez les tiens. »
Un silence s’abat. Je sens mon cœur cogner dans ma poitrine. Noël chez ses parents ? Après tout ce qui s’est passé l’an dernier ? Je revois la scène : sa mère, Odile, lançant des piques sur mon travail à mi-temps, sur notre choix de ne pas avoir d’enfants tout de suite. Mon père, lui, n’a jamais digéré ces remarques. Depuis, chaque fête est un champ de mines.
Mais là, il ne s’agit pas de moi. Il s’agit de Sophie. Ma petite sœur, celle qui a toujours été là quand j’avais besoin d’elle. Depuis qu’elle a perdu son emploi à la librairie, elle galère à joindre les deux bouts. Hier soir encore, elle m’a appelée en pleurs : « Camille, je vais être expulsée si je ne trouve pas 800 euros avant la fin du mois… »
Je me tourne vers Julien, la gorge serrée. « Tu veux vraiment me forcer à choisir ? »
Il hausse les épaules. « Je ne force rien. Mais tu sais ce que je ressens vis-à-vis de ta famille. Ils ne m’ont jamais accepté. »
Je sens la colère monter. « Et tu crois que ta mère m’a acceptée, peut-être ? »
Il détourne les yeux. « Ce n’est pas pareil. »
Je voudrais hurler. Je voudrais lui dire que ce chantage est injuste, que l’amour ne se marchande pas. Mais je me retiens. Je pense à Sophie, à ses yeux rougis par les larmes, à sa voix brisée au téléphone.
Le soir venu, je retrouve Sophie dans un petit café du centre-ville. Elle tripote nerveusement sa tasse de thé.
« Alors ? Tu as pu parler à Julien ? »
Je baisse les yeux. « Il… il veut bien t’aider. Mais il pose une condition. »
Elle fronce les sourcils. « Quelle condition ? »
Je lui explique tout. Elle pâlit.
« Camille… Tu ne peux pas faire ça pour moi. Ce n’est pas juste ! »
Je prends sa main dans la mienne. « Ce n’est pas juste pour toi non plus… »
La nuit suivante est blanche. Je tourne en rond dans notre chambre, tandis que Julien dort d’un sommeil lourd. Les souvenirs affluent : les Noëls passés chez mes parents, la chaleur des rires, les disputes aussi, mais toujours cette impression d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi.
Le lendemain matin, j’essaie de raisonner Julien une dernière fois.
« Tu sais que Sophie n’a personne d’autre… »
Il soupire. « Et moi alors ? J’ai l’impression que tu choisis toujours ta famille avant moi. »
Je le regarde, désemparée.
« Ce n’est pas une compétition… »
Il hausse le ton : « Si tu ne veux pas faire un effort pour ma famille, pourquoi moi j’en ferais un pour la tienne ? »
Je me sens prise au piège. Entre deux loyautés impossibles à concilier.
Les jours passent et l’échéance approche. Sophie m’envoie des messages discrets pour ne pas me mettre la pression, mais je sens son angoisse derrière chaque mot.
Un soir, alors que je rentre du travail, je trouve Julien en train de regarder un vieux film sur la télé du salon. Je m’assois à côté de lui.
« J’ai pris ma décision », dis-je d’une voix calme.
Il me regarde sans rien dire.
« J’irai chez tes parents à Noël. Mais je veux que tu comprennes une chose : je le fais pour Sophie, pas pour toi ni pour ta mère. Et j’espère qu’un jour tu comprendras ce que ça coûte de sacrifier un bout de soi pour ceux qu’on aime. »
Il hoche la tête sans sourire.
Le lendemain, je donne l’argent à Sophie. Elle pleure dans mes bras.
« Tu es sûre que ça va aller ? »
Je souris faiblement. « On verra bien… »
Noël arrive vite. Chez Odile et Jean-Pierre, l’ambiance est glaciale malgré les guirlandes dorées et le champagne qui coule à flots. Odile me lance un sourire pincé : « Alors Camille, toujours pas de bébé en route ? »
Julien me serre la main sous la table, mais je sens qu’il attend que je joue mon rôle.
Je souris poliment et détourne la conversation vers Sophie qui a finalement retrouvé un petit boulot dans une librairie indépendante.
Mais au fond de moi, quelque chose s’est brisé. Je regarde Julien rire avec son père et je me demande si ce compromis valait vraiment le coup.
Le soir venu, en rentrant chez nous sous la pluie fine de décembre, je murmure :
« Est-ce qu’on doit vraiment choisir entre ceux qu’on aime ? Ou bien est-ce qu’on finit toujours par se perdre soi-même à force de vouloir contenter tout le monde ? »