Entre deux feux : Ma femme, ma belle-mère et moi
« Tu ne comprends jamais rien, François ! » La voix de Camille résonne encore dans ma tête alors que je claque la porte du salon. Je sens la colère monter, mais aussi une tristesse profonde. Depuis des semaines, tout ce que je fais semble l’agacer. Même le bruit de mes clés sur la table lui arrache un soupir exaspéré. Ce soir-là, c’est la dispute de trop. Je me retrouve dehors, sur le balcon, à regarder les lumières de Lyon s’étendre sous mes pieds.
Je repense à notre rencontre, il y a dix ans, sur les bancs de la fac. Camille riait tout le temps, elle était solaire. Aujourd’hui, elle ne sourit plus qu’à notre fils, Paul, et encore… Je me demande où j’ai failli. Est-ce mon travail ? Les heures passées à l’agence d’architecture ? Ou bien est-ce moi qui ai changé ?
La porte-fenêtre s’ouvre brusquement. Monique, ma belle-mère, entre sur la pointe des pieds. Elle est venue passer quelques jours chez nous pour aider avec Paul pendant les vacances scolaires. Je n’ai jamais été très proche d’elle ; elle m’intimidait avec ses jugements silencieux et ses remarques sur la cuisson du rôti ou la façon dont je plie le linge.
Mais ce soir-là, elle s’approche doucement :
— Tu sais, François, Camille n’est pas facile en ce moment…
Je la regarde, surpris par sa douceur. Elle pose une main sur mon bras.
— Elle traverse une période compliquée. Elle ne te le dira pas, mais elle se sent seule. Elle a l’impression de porter tout le poids de la maison sur ses épaules.
Je soupire. J’ai envie de lui dire que moi aussi je me sens seul. Que j’ai l’impression de marcher sur des œufs en permanence.
— Et moi alors ? Je fais tout ce que je peux…
Monique esquisse un sourire triste.
— Je sais. Mais parfois, il faut savoir parler. Vraiment parler. Pas juste échanger des reproches ou des listes de courses.
Je repense à toutes ces soirées où Camille et moi dînions en silence devant la télé. À toutes ces fois où j’ai préféré sortir courir plutôt que d’affronter son regard fermé.
Le lendemain matin, Camille évite mon regard en préparant le petit-déjeuner. Paul réclame du chocolat chaud et Monique tente de détendre l’atmosphère avec une blague sur les croissants trop cuits. Mais rien n’y fait : le malaise est palpable.
Plus tard dans la journée, alors que Camille emmène Paul au parc, Monique s’installe face à moi avec deux cafés fumants.
— François… Tu sais, j’ai connu ça avec le père de Camille. On s’est perdus de vue pendant des années alors qu’on vivait sous le même toit. On ne se parlait plus que pour se disputer ou organiser les vacances. Un jour, il est parti…
Je sens une boule se former dans ma gorge.
— Tu crois qu’elle veut partir ?
Monique secoue la tête.
— Non. Mais elle a besoin de sentir que tu es là. Que tu l’aimes encore. Que tu la vois.
Je reste silencieux. Comment lui prouver ça alors qu’on ne fait que s’éviter ?
Le soir venu, Camille rentre fatiguée. Paul s’endort rapidement et je me retrouve seul avec elle dans la cuisine. J’hésite puis je me lance :
— Camille… Est-ce qu’on peut parler ?
Elle lève les yeux vers moi, méfiante.
— Parler de quoi ? Encore des factures ?
— Non… De nous.
Un silence lourd s’installe. Puis elle éclate :
— Tu ne comprends pas ! J’ai l’impression d’être transparente ! Tu rentres tard, tu ne t’occupes jamais de Paul comme il faut… Je fais tout ici !
Je sens ma colère monter mais je me retiens.
— Je sais que je ne suis pas parfait… Mais j’ai besoin de toi aussi. J’ai l’impression qu’on est devenus des colocataires.
Elle baisse les yeux et je vois ses mains trembler légèrement.
— J’ai peur qu’on ne s’aime plus… murmure-t-elle.
Je m’approche doucement et pose ma main sur la sienne.
— Moi aussi j’ai peur. Mais je veux essayer… Pour nous. Pour Paul.
Elle laisse échapper un sanglot et s’effondre dans mes bras. Pour la première fois depuis des mois, on pleure ensemble.
Les jours suivants sont difficiles mais différents. On essaie de se parler sans crier, de se retrouver autour d’un café ou d’une promenade avec Paul. Monique nous observe discrètement, un sourire bienveillant aux lèvres.
Un soir, alors que je raccompagne ma belle-mère à la gare Part-Dieu, elle me serre fort contre elle :
— Tu vois ? Parfois il suffit d’un mot pour tout changer…
Sur le quai désert, je repense à tout ce qui aurait pu être perdu si je n’avais pas écouté Monique. Si je n’avais pas osé parler à Camille.
Est-ce vraiment si difficile d’aimer quand on se sent incompris ? Et vous, avez-vous déjà eu besoin d’un tiers pour sauver votre couple ?