Dormir sur le canapé : Mon appartement, ses règles, et moi au milieu du chaos

— Guillaume, tu dors sur le canapé ce soir.

La voix de Camille résonne dans le salon, froide comme la pluie qui martèle les vitres de notre appartement à Lyon. Je reste figé, la main encore sur la poignée de la porte d’entrée. J’ai envie de rire, de croire à une mauvaise blague, mais son regard ne laisse aucune place au doute.

— Pardon ? C’est chez moi ici, Camille !

Elle croise les bras, le visage fermé. Je sens la colère monter en moi, mais aussi une tristesse sourde. Comment en est-on arrivé là ?

Tout a commencé il y a trois mois, quand Camille a emménagé chez moi. Au début, c’était l’euphorie : les petits-déjeuners partagés, les soirées Netflix sous la couette, les promesses murmurées à la lumière des lampadaires. Mais très vite, les habitudes ont changé. Camille a commencé à déplacer mes affaires, à imposer ses goûts : les coussins jaunes moutarde, les plantes partout, même dans la salle de bain. J’ai laissé faire, pensant que c’était normal.

Mais ce soir-là, tout a explosé. J’étais rentré tard du travail ; mon chef m’avait encore gardé pour une réunion interminable. En ouvrant la porte, j’ai trouvé Camille assise sur le canapé, le visage fermé. Sa meilleure amie, Sophie, était là aussi — elle me lance un regard gêné avant de s’éclipser dans la cuisine.

— Tu pourrais prévenir quand tu rentres tard !

Je soupire. J’ai l’impression d’être un ado qui doit rendre des comptes à sa mère. Je tente de lui expliquer la situation, mais elle ne veut rien entendre.

— Tu ne respectes jamais rien ! Ni moi, ni notre vie commune !

Je sens la colère monter. Je me retiens de crier. Je pense à mon père qui m’a toujours dit : « Un homme doit avoir son espace, son refuge. » Mais ce soir, mon refuge est devenu un champ de bataille.

Camille s’approche soudainement :

— Si tu n’es pas content, tu peux aller dormir ailleurs !

Je ris jaune :

— C’est MON appartement ! Tu te rends compte ?

Elle me fixe droit dans les yeux :

— Peut-être, mais tant que je vis ici, c’est chez nous.

Le silence tombe. Sophie revient avec deux tasses de thé qu’elle pose maladroitement sur la table basse. Elle tente de détendre l’atmosphère :

— Vous devriez parler calmement…

Mais c’est trop tard. Camille attrape une couverture et me la jette dessus.

— Bonne nuit !

Je reste là, hébété. Je regarde autour de moi : les photos de nous deux accrochées au mur, les livres qu’on a achetés ensemble au marché Saint-Antoine… Tout me semble soudain étranger.

Je m’installe sur le canapé, le cœur lourd. J’entends Camille pleurer dans la chambre. Je voudrais aller la voir, lui dire que je l’aime malgré tout… Mais ma fierté m’en empêche.

La nuit est longue. Je repense à ma mère qui m’a toujours dit : « L’amour, c’est du compromis. » Mais jusqu’où doit-on aller ? Est-ce normal de se sentir étranger chez soi ?

Le lendemain matin, je me réveille avec un mal de dos carabiné. Camille est déjà partie travailler. Sur la table de la cuisine, un mot griffonné : « Désolée pour hier soir. On parlera ce soir ? »

Je pars bosser sans avoir vraiment faim. Au bureau, mes collègues sentent que quelque chose ne va pas.

— Ça va pas fort avec Camille ? demande Paul.

Je hausse les épaules. Je n’ose pas lui dire que j’ai dormi sur le canapé chez moi… Il éclate de rire quand je finis par lui avouer.

— Eh ben mon vieux, t’es pas sorti de l’auberge !

Le soir venu, je rentre plus tôt que d’habitude. Camille est là, assise sur le lit. Elle a les yeux rouges.

— Guillaume… Je suis désolée. J’ai paniqué hier soir. J’ai eu peur que tu t’éloignes de moi…

Je m’assois à côté d’elle.

— Mais pourquoi vouloir tout contrôler ? Pourquoi me faire sentir comme un intrus chez moi ?

Elle baisse la tête.

— J’ai eu peur que tu regrettes qu’on vive ensemble… Que tu veuilles retrouver ta liberté.

Je soupire.

— Mais c’est justement parce qu’on vit ensemble qu’on doit se respecter… Je veux bien faire des efforts, mais pas au point d’oublier qui je suis.

On reste silencieux quelques minutes. Puis elle prend ma main.

— On pourrait redéfinir nos espaces ? Trouver un équilibre ?

J’acquiesce. Mais au fond de moi, je sais que rien ne sera plus jamais comme avant. La confiance s’est fissurée.

Quelques semaines passent. On tente de recoller les morceaux : on établit des règles — chacun son espace dans l’appartement, des soirées pour soi… Mais parfois, le malaise revient. Un mot plus haut que l’autre et tout menace d’exploser à nouveau.

Un dimanche matin, alors que je prends mon café sur le balcon, mon père m’appelle.

— Alors fiston, comment ça va avec ta dulcinée ?

Je souris tristement.

— On fait aller… Mais tu sais papa, parfois j’ai l’impression d’avoir perdu mon chez-moi.

Il rit doucement.

— L’important c’est de ne pas te perdre toi-même.

Je raccroche en réfléchissant à ses mots.

Aujourd’hui encore, je me demande : jusqu’où faut-il aller pour préserver son couple sans se renier soi-même ? Est-ce qu’on peut vraiment partager un espace sans perdre une part de soi ? Qu’en pensez-vous ?