Deux battements, un même combat : l’histoire de mes jumeaux et du cœur fragile

« Maman, pourquoi Louis ne respire plus ? »

La voix de Paul, à peine audible, me transperce alors que je me précipite vers le berceau. Il est trois heures du matin dans notre appartement de Lyon. Mon cœur bat à tout rompre. Louis est là, tout pâle, ses petits poings serrés. Je le prends dans mes bras, je crie : « Julien ! Appelle le SAMU ! »

Tout s’enchaîne. Les gyrophares bleus, les voisins qui ouvrent leurs portes en pyjama, la course folle dans l’ambulance. Je serre Louis contre moi, je sens son souffle court, irrégulier. Paul pleure dans les bras de son père. J’ai l’impression que le monde s’écroule.

À l’hôpital Édouard-Herriot, tout va trop vite. Les médecins parlent entre eux, des mots que je ne comprends pas : « cyanose », « saturation », « malformation ». On nous sépare de Louis. Je reste là, debout dans le couloir froid, à fixer la porte battante. Julien me prend la main mais je sens qu’il tremble autant que moi.

Quelques heures plus tard, le diagnostic tombe : Louis souffre d’une cardiopathie congénitale rare. Je m’effondre sur la chaise en plastique. Je pense à Paul, resté avec ma sœur Claire à la maison. Et si lui aussi… Non, impossible.

Mais le lendemain matin, alors que je rentre épuisée pour embrasser Paul, je remarque qu’il est essoufflé après avoir simplement rampé sur le tapis. Mon instinct maternel hurle. Je fonce chez le pédiatre. Les examens s’enchaînent. Le couperet tombe : Paul a exactement la même malformation que son frère.

Je hurle intérieurement contre l’injustice. Pourquoi eux ? Pourquoi mes deux fils ?

Les semaines suivantes sont un tourbillon de rendez-vous médicaux, d’examens invasifs et de nuits blanches à l’hôpital. Julien et moi nous relayons entre les chambres stériles et notre appartement vide. Nos amis s’éloignent peu à peu ; ils ne savent pas quoi dire face à notre détresse. Ma mère me répète : « Il faut être forte pour eux », mais je ne sais plus comment tenir.

Un soir, alors que je veille Louis branché à ses machines, Paul se réveille en sursaut dans sa chambre d’hôpital voisine. Il crie : « Maman ! J’ai peur ! » Je cours d’un lit à l’autre, déchirée entre mes deux enfants qui ont besoin de moi en même temps. Je m’effondre sur le sol du couloir, la tête entre les mains.

Julien arrive en courant : « Camille, il faut qu’on tienne bon… pour eux. » Mais comment tenir quand chaque battement de leur cœur est une menace ?

Les médecins parlent d’opérations à cœur ouvert, de risques énormes, de listes d’attente interminables pour une greffe. Je me bats avec l’administration pour obtenir des rendez-vous prioritaires. J’écris des lettres au député local, j’appelle les associations de parents d’enfants malades.

Un jour, dans la salle d’attente bondée du service de cardiologie pédiatrique, une autre maman me lance : « Vous aussi, vous avez des jumeaux malades ? » Elle s’appelle Sophie. On se serre la main comme deux naufragées sur la même île déserte. Elle me raconte son histoire, ses nuits blanches, ses colères contre le système hospitalier français qui manque de moyens.

Peu à peu, une solidarité se crée entre nous, entre toutes ces familles brisées mais combatives. On échange des astuces pour faire manger les enfants malgré les nausées des médicaments, on se relaie pour surveiller les machines quand l’une doit sortir prendre l’air.

Mais la tension monte dans mon couple. Julien s’enferme dans le silence ; il travaille plus tard pour éviter l’hôpital. Un soir, il explose : « Tu crois que c’est facile pour moi ? J’ai peur de les perdre tous les deux ! » Je lui crie dessus aussi fort que je m’en veux : « Et moi alors ? Tu crois que je dors la nuit ? Que je ne fais pas de cauchemars ? »

On finit enlacés sur le canapé de la salle d’attente, épuisés mais unis par la peur et l’amour.

Les mois passent. Louis subit sa première opération ; il survit mais reste fragile. Paul attend toujours son tour sur la liste des greffes. Chaque jour est une victoire arrachée au destin.

Un matin d’hiver, alors que la neige tombe sur les toits de Lyon, Paul me demande : « Maman, est-ce que je vais mourir comme dans les dessins animés ? » Je retiens mes larmes et lui réponds : « Non mon cœur, tu es un super-héros… et les super-héros ne meurent jamais. »

Mais la nuit venue, seule dans ma chambre d’hôpital, je me demande : combien de temps vais-je pouvoir leur mentir ? Combien de familles vivent ce cauchemar en silence ? Est-ce qu’on parle assez des maladies rares en France ?

Et vous… jusqu’où iriez-vous pour sauver ceux que vous aimez ?