Derrière les volets clos : Confession d’une femme parisienne déchirée entre sa famille et elle-même
— Tu ne comprends donc rien, Camille ! hurla Paul en claquant la porte du salon. La pluie battait contre les vitres, rythmant la colère qui grondait dans la maison. Je restai figée, la main crispée sur la table, le souffle court. C’était la troisième dispute cette semaine, mais ce soir-là, tout bascula.
Je m’appelle Camille Lefèvre. J’ai quarante-deux ans, deux enfants, un appartement dans le 15e arrondissement de Paris et, jusqu’à cette nuit d’orage, une vie que beaucoup auraient enviée. Mais derrière les volets clos de notre appartement haussmannien, la façade s’effritait depuis longtemps.
Tout a commencé par des messages découverts par hasard sur le téléphone de Paul. Des mots doux, des promesses murmurées à une autre. J’ai senti mon cœur se fissurer, mais je n’ai rien dit tout de suite. J’ai observé, j’ai attendu. Peut-être que je me trompais ? Peut-être que c’était juste une amie ? Mais les preuves s’accumulaient : des absences inexpliquées, des regards fuyants, des silences pesants.
Ce soir-là, alors que l’orage grondait dehors, j’ai confronté Paul. Il a nié d’abord, puis il a crié. Les enfants, Lucie et Antoine, sont sortis de leur chambre en larmes. J’ai voulu les protéger, mais comment protéger quand on est soi-même brisée ?
— Maman, pourquoi papa crie ? demanda Lucie d’une voix tremblante.
Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai serré mes enfants contre moi, tentant de leur transmettre une force que je n’avais plus.
Les jours suivants furent un enfer. Ma mère, Françoise, m’appelait chaque matin :
— Camille, tu dois sauver ton mariage. Pense aux enfants !
Mais comment sauver ce qui est déjà mort ? Mon père, Jacques, plus discret mais tout aussi inquiet, m’a prise à part un dimanche :
— Tu sais, ma fille, la vie n’est jamais simple. Mais il faut parfois savoir pardonner.
Pardonner ? Je n’étais même pas sûre de pouvoir me pardonner à moi-même d’avoir fermé les yeux si longtemps.
Au travail aussi, tout vacillait. Je suis professeure de lettres dans un lycée du centre de Paris. Mes élèves sentaient mon malaise. Un matin, alors que je corrigeais des copies dans la salle des profs, ma collègue Sophie s’est approchée :
— Tu veux en parler ? Tu as l’air ailleurs depuis quelques temps.
J’ai fondu en larmes. Pour la première fois depuis le début de cette tempête, j’ai laissé tomber le masque.
Les semaines ont passé. Paul rentrait de plus en plus tard. Les enfants devenaient nerveux, Lucie faisait des cauchemars et Antoine refusait de manger. Un soir, alors que je tentais de rassurer Lucie dans son lit, elle m’a demandé :
— Est-ce que papa va partir ?
J’ai senti une boule dans ma gorge. Je ne savais pas quoi répondre. Je me suis contentée de caresser ses cheveux blonds en murmurant :
— Je suis là, ma chérie. Je serai toujours là.
Mais au fond de moi, je savais que quelque chose devait changer. J’étouffais dans ce rôle d’épouse parfaite imposé par ma famille et la société. Où étais-je dans tout cela ? Qui étais-je devenue ?
Un dimanche matin, alors que Paul dormait encore après une nuit passée « chez un ami », j’ai pris mon courage à deux mains. J’ai appelé mes parents pour leur dire que j’envisageais la séparation.
— Camille ! Tu ne peux pas faire ça ! s’est écriée ma mère au téléphone. Et les enfants ? Et ta réputation ?
J’ai senti la colère monter en moi.
— Et moi alors ? Est-ce que quelqu’un pense à moi ?
Un silence gênant a suivi. Pour la première fois de ma vie, j’ai osé penser à moi avant les autres.
La décision n’a pas été facile à prendre. Les démarches administratives étaient un labyrinthe : avocat, médiation familiale… Les rendez-vous s’enchaînaient dans des bureaux froids où l’on parlait de garde alternée et de pension alimentaire comme on parle d’un contrat commercial.
Paul oscillait entre colère et culpabilité. Un soir, il est rentré ivre et a éclaté en sanglots :
— Je suis désolé… Je ne voulais pas te blesser…
J’aurais voulu le consoler comme avant, mais quelque chose s’était brisé en moi. J’étais fatiguée d’être forte pour tout le monde sauf pour moi-même.
Les enfants ont souffert. Lucie s’est renfermée sur elle-même ; Antoine a commencé à bégayer. J’ai culpabilisé chaque jour. Mais petit à petit, nous avons trouvé un nouvel équilibre. J’ai repris la peinture, une passion oubliée depuis des années. J’ai commencé à sortir avec des amies, à rire à nouveau.
Un soir d’été, alors que je regardais Paris s’illuminer depuis mon balcon avec Lucie et Antoine blottis contre moi, j’ai compris que la vie continuait malgré tout.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de douter. Ai-je fait le bon choix ? Aurais-je pu sauver ma famille si j’avais agi autrement ? Mais je sais une chose : il n’y a pas de bonheur possible sans vérité envers soi-même.
Et vous… jusqu’où seriez-vous prêt à aller pour ne pas vous perdre vous-même ? Est-ce égoïste de choisir sa propre paix plutôt que l’illusion d’une famille parfaite ?