« Combien d’enfants je veux, c’est mon choix ! » – Chronique d’une famille brisée
« Tu ne comprends rien, Lucie ! Ce n’est pas à toi de décider pour moi ! »
La voix de Camille résonne encore dans ma tête, tranchante, presque étrangère. C’était un soir de juillet, l’air était lourd, la chaleur collait à la peau et la tension dans le salon était palpable. Maman venait de poser la question fatidique, celle qu’on évitait tous depuis des semaines : « Mais enfin Camille, tu ne crois pas que trois enfants, c’est déjà beaucoup ? »
Camille s’est levée d’un bond, ses joues rougies par la colère. « Je ferai autant d’enfants que je veux ! Ce n’est pas à vous de décider de ma vie ! »
Papa a tenté d’intervenir, sa voix tremblante : « On s’inquiète juste pour toi… Tu sais que la vie n’est pas facile, surtout avec le prix des loyers à Lyon… »
Mais Camille n’a rien voulu entendre. Elle a claqué la porte, laissant derrière elle un silence assourdissant. Je suis restée là, figée, le cœur battant à tout rompre. Je savais que quelque chose venait de se briser.
Depuis ce soir-là, plus rien n’a été pareil. Les repas de famille sont devenus rares, tendus. Maman évite le sujet, mais je la surprends parfois en train de pleurer dans la cuisine. Papa s’enferme dans son bureau, prétextant du travail. Et moi… je me sens coupable. Coupable d’avoir voulu protéger ma sœur, coupable d’avoir pris le parti de nos parents.
Camille ne répond plus à mes messages. Elle a déménagé dans un petit appartement à Villeurbanne avec ses enfants. Je croise parfois son aîné à l’école de mon fils, mais il baisse les yeux, mal à l’aise. Les voisins murmurent : « Encore une famille qui se déchire… »
Je repense à notre enfance à Annecy, aux étés passés au bord du lac, insouciantes et complices. Comment avons-nous pu en arriver là ? Est-ce la pression sociale qui nous a divisées ? Ou bien nos propres peurs ?
Un soir, j’ai osé appeler Camille. Sa voix était froide : « Tu veux quoi ? Me dire encore que je fais n’importe quoi ? »
J’ai bafouillé : « Non… Je voulais juste savoir comment tu vas. »
Un silence gênant s’est installé. Puis elle a lâché : « Je fais ce que je peux. Mais tu ne peux pas comprendre. Toi, tu as tout fait comme il faut… Un mari, deux enfants, une maison… Moi j’ai choisi autre chose. »
J’ai senti les larmes monter. « Mais tu restes ma sœur… »
Elle a raccroché.
Depuis, je revis cette dispute en boucle. J’entends encore les mots blessants échangés ce soir-là. Je me demande si nous avons été trop durs avec elle, si nous avons oublié qu’elle avait le droit de choisir sa vie.
Les fêtes approchent et je redoute le vide autour de la table. Maman a préparé une lettre pour Camille, mais n’ose pas l’envoyer. Papa fait semblant de ne pas souffrir, mais je le vois regarder les photos de famille avec nostalgie.
Un dimanche matin, mon fils m’a demandé : « Pourquoi tatie Camille ne vient plus ? »
Je n’ai pas su quoi répondre.
La France change, les familles aussi. On parle beaucoup du droit des femmes à disposer de leur corps, mais quand cela touche notre propre famille, on oublie parfois d’écouter vraiment.
Je me demande chaque jour : aurions-nous pu éviter tout cela ? Est-il trop tard pour réparer ce qui a été cassé ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous pour défendre vos choix face à votre famille ?