Un Berceau Vide : Le Combat d’Alexandra pour un Deuxième Enfant
— Tu ne comprends donc pas ? Je ne veux plus d’enfant, Alexandra !
La voix de Nicolas résonne encore dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un appui dans la chaleur du liquide. Il me tourne le dos, les épaules voûtées, le regard perdu par la fenêtre sur le jardin où les feuilles mortes s’accumulent. J’ai envie de crier, de le secouer, de lui rappeler que notre histoire n’est pas terminée, qu’il reste encore tant à vivre. Mais je me tais. Depuis des mois, chaque discussion sur ce sujet finit en dispute ou en silence pesant.
Je m’appelle Alexandra. J’ai 36 ans. Il y a sept ans, j’ai rencontré Nicolas lors d’un vernissage à Lyon. Il était élégant, mystérieux, avec ce charme discret des hommes qui ont déjà vécu mille vies. Il m’a parlé de ses enfants : Antoine, 22 ans, étudiant à Paris, et Camille, 17 ans, lycéenne à Grenoble. Deux enfants issus de deux mariages différents. Je savais tout cela. Je croyais pouvoir l’accepter.
Mais aujourd’hui, mon ventre est vide et mon cœur déborde d’un amour qui n’a pas d’enfant à chérir. Notre fils, Paul, a quatre ans. Il est la lumière de ma vie. Mais ce désir d’un deuxième enfant me hante, me réveille la nuit. Je me surprends à imaginer une petite sœur pour Paul, ou un frère qui viendrait compléter notre famille recomposée. Mais pour Nicolas, c’est non.
— Tu ne penses qu’à toi !
Sa voix claque dans l’air comme un orage d’été. Je sens la colère monter en moi.
— Et toi ? Tu ne penses qu’à ton passé ! Tu refuses d’avancer !
Il se retourne enfin, ses yeux fatigués plongent dans les miens. Je lis la lassitude, la peur aussi. Peur de recommencer, peur de vieillir encore plus vite.
— J’ai déjà donné, Alexandra… Deux divorces, trois enfants… Je veux profiter de la vie maintenant. Voyager avec toi, penser à nous.
Je voudrais lui hurler que moi aussi je veux vivre, mais que vivre sans ce deuxième enfant me semble impossible. Que chaque mois qui passe est une porte qui se ferme sur mon rêve de maternité.
Les jours passent et le malaise s’installe. Paul sent la tension ; il réclame son père plus souvent, me regarde avec inquiétude quand je pleure en cachette dans la salle de bain. Ma mère m’appelle tous les dimanches :
— Tu sais, ma chérie, il faut parfois accepter ce qu’on ne peut pas changer…
Mais comment accepter ? Comment renoncer à ce désir viscéral ?
Un soir de novembre, alors que Nicolas est parti voir un match avec des amis, je reçois un message de Camille :
« Tu vas bien ? Papa a l’air bizarre ces temps-ci… »
Je souris tristement devant l’écran. Camille et moi avons une relation fragile mais sincère. Elle a du mal à accepter ma place auprès de son père, mais elle aime Paul et vient parfois passer le week-end chez nous.
Je lui réponds :
« On traverse une période compliquée… Tu veux en parler ? »
Elle m’appelle aussitôt. Sa voix est douce :
— Papa a peur de te perdre… Il ne sait pas comment te le dire.
Je reste sans voix. Moi aussi j’ai peur de le perdre. Mais je sens que quelque chose s’est brisé entre nous.
Quelques semaines plus tard, lors du réveillon de Noël chez mes parents à Annecy, tout explose. Ma sœur Élodie lance innocemment :
— Alors, c’est pour quand le petit deuxième ?
Un silence glacial tombe sur la table. Nicolas pose sa fourchette et me lance un regard noir.
— Ce n’est pas au programme.
Je sens les larmes monter mais je me retiens. Ma mère tente de changer de sujet mais le mal est fait. Le reste du repas se déroule dans une tension insupportable.
De retour à Lyon, Nicolas et moi ne nous parlons presque plus. Je dors mal ; il rentre tard du travail ou sort avec ses amis. Un soir, il rentre ivre et s’effondre sur le canapé.
— Tu vas finir par me détester… murmure-t-il.
Je m’assois près de lui et prends sa main.
— Je t’aime trop pour ça… Mais je ne sais plus comment continuer comme ça.
Il ferme les yeux. Je sens qu’il pleure en silence.
Les semaines passent et je consulte une psychologue. Elle m’aide à mettre des mots sur ma douleur : le sentiment d’injustice, la peur du temps qui passe, la solitude au sein même du couple.
Un soir d’avril, alors que Paul dort déjà, j’ose enfin poser la question qui me hante :
— Et si on essayait juste… sans pression ? Si ça arrive, c’est que c’était écrit… Sinon… on aura essayé.
Nicolas soupire longuement.
— J’ai peur de ne pas être là pour cet enfant quand il sera adulte… J’ai peur d’être un vieux père fatigué…
Je prends sa main dans la mienne.
— Moi aussi j’ai peur… Mais j’ai surtout peur de regretter toute ma vie.
Il me regarde longtemps sans rien dire. Puis il se lève et quitte la pièce.
Cette nuit-là, je comprends que notre histoire est à un tournant. Que parfois l’amour ne suffit pas à combler tous les vides. Que le désir d’enfant peut devenir une fracture irréparable.
Aujourd’hui encore je me demande : faut-il sacrifier son rêve pour sauver son couple ? Ou faut-il se choisir soi-même au risque de tout perdre ? Et vous… qu’auriez-vous fait à ma place ?