Trop Tard Pour Être Parfaits ? Le Miracle d’Ariana et le Poids de Nos Choix

— Non, Ariana, tu ne peux pas avoir une autre glace !

Ma voix tremble, mais Ariana, du haut de ses six ans, me fixe avec ses grands yeux noisette, déjà humides. Luc, mon mari, soupire derrière moi. Il pose sa main sur mon épaule, comme pour me rappeler que nous avons promis d’être fermes. Mais je sens déjà la culpabilité me ronger. Après tout ce qu’on a traversé pour l’avoir, comment lui refuser quoi que ce soit ?

Je repense à ces années de silence dans notre appartement de Lyon, aux rendez-vous médicaux, aux échecs répétés. Les FIV, les hormones, les espoirs brisés chaque mois. Luc et moi nous sommes tant disputés à l’époque. Lui voulait « passer à autre chose », moi je refusais d’abandonner. Ma mère me disait : « Danielle, tu dois accepter ta vie comme elle est. » Mais je ne pouvais pas. Je voulais un enfant, coûte que coûte.

Quand Ariana est arrivée, un matin de mai, j’avais quarante ans. Luc en avait quarante-trois. On a pleuré de joie, on a promis de ne jamais la laisser manquer de rien. Mais aujourd’hui, je me demande si on n’a pas confondu amour et compensation.

— Laisse-la, souffle Luc à voix basse. Elle a déjà eu une journée difficile à l’école.

Je serre les dents. Encore une fois, je cède. Ariana attrape sa glace avec un sourire triomphant. Je croise le regard de Luc : il est fatigué, lui aussi. On ne se parle plus vraiment le soir. On s’inquiète pour Ariana, on s’inquiète pour nous.

Le soir même, ma mère vient dîner. Elle s’installe dans la cuisine et observe Ariana qui saute partout.

— Tu la gâtes trop, Danielle. À son âge, tu savais déjà mettre la table.

Je sens la colère monter.

— Ce n’est pas pareil, maman ! Ariana est… spéciale.

Ma mère hausse les épaules.

— Tous les enfants sont spéciaux pour leurs parents. Mais tu dois penser à son avenir.

Je sais qu’elle a raison. Mais comment expliquer ce vide que j’ai ressenti toutes ces années ? Ce besoin de combler chaque manque ?

La nuit, je dors mal. Je me lève pour vérifier si Ariana respire bien. Je la borde trois fois. Je lui achète tout ce qu’elle veut : des jouets, des vêtements, des livres. Luc fait pareil. On se dispute parfois à voix basse :

— On doit être plus stricts !
— Et si elle nous en voulait plus tard ?

Un soir, alors qu’Ariana fait une crise parce qu’elle ne veut pas aller au lit sans sa nouvelle peluche licorne (la troisième cette semaine), Luc explose :

— Ça suffit ! On ne peut pas continuer comme ça !

Ariana fond en larmes. Je la prends dans mes bras, mais Luc me repousse doucement.

— Tu vois ce qu’on fait ? On l’étouffe !

Je reste figée. Il a raison. Mais comment changer ?

À l’école, la maîtresse m’appelle un jour :

— Madame Martin, Ariana a du mal à accepter la frustration. Elle pleure dès qu’on lui dit non…

Je rentre chez moi en pleurant. J’appelle Luc au travail.

— On a tout raté ?
— Non… On doit juste apprendre à être parents autrement.

On décide d’aller voir une psychologue familiale. Elle nous écoute longuement.

— Vous avez attendu longtemps pour avoir Ariana… Vous avez peur de lui faire du mal en lui refusant des choses. Mais l’amour, c’est aussi poser des limites.

Je pleure encore dans son cabinet. J’ai l’impression d’être une mauvaise mère.

Les semaines passent. On essaie d’être plus fermes. Ariana crie, tempête, nous supplie. Parfois je craque encore. Mais peu à peu, elle apprend à attendre, à partager.

Un dimanche chez mes parents, mon père prend Ariana sur ses genoux.

— Tu sais, petite princesse, tes parents t’aiment très fort… mais ils doivent aussi t’apprendre à devenir grande.

Ariana me regarde avec sérieux.

— Maman, tu crois que je peux devenir grande même si j’ai peur ?

Je la serre contre moi.

— Oui, ma chérie… Moi aussi j’ai peur parfois.

Le soir venu, Luc et moi restons longtemps silencieux dans le salon.

— Tu regrettes ? me demande-t-il soudain.

Je secoue la tête.

— Jamais… Mais j’aurais aimé savoir comment être une bonne mère avant d’avoir Ariana.

Il me prend la main.

— On apprend tous les jours… ensemble.

Aujourd’hui encore, je doute souvent. Est-ce qu’on saura réparer nos erreurs ? Est-ce que l’amour suffit quand on a tant attendu pour être parents ?

Et vous… croyez-vous qu’on puisse aimer trop fort ? Peut-on vraiment protéger nos enfants sans les étouffer ?