Trois ans plus tard : Comment le rêve universitaire de ma belle-fille nous a rapprochées
« Tu n’as pas rangé tes chaussures, Camille ! » Ma voix résonne dans le couloir exigu de notre appartement du 12e arrondissement. Je me fige, surprise par la colère qui perce dans mes mots. Camille, dix-huit ans, me lance un regard noir avant de disparaître dans sa chambre en claquant la porte. Trois ans que je suis mariée à François, et jamais je n’aurais imaginé que vivre avec sa fille serait aussi éprouvant.
Tout a commencé un soir de juin, alors que la chaleur étouffait Paris. François est rentré du travail, le visage grave. « Camille veut venir vivre avec nous pour la fac », m’a-t-il annoncé. J’ai souri, un peu crispée. Notre appartement est minuscule, et je craignais déjà les tensions. Mais comment refuser ? Après tout, je n’ai pas eu d’enfants. Camille est tout pour François.
Les premiers jours ont été un choc. Camille a envahi l’espace avec ses livres, ses vêtements, sa musique trop forte. Elle ne me parlait presque pas, s’adressant toujours à son père. Je me sentais étrangère chez moi. Un soir, alors que je préparais le dîner, j’ai surpris une conversation entre eux.
— Tu crois qu’elle m’aime bien ? a demandé Camille à voix basse.
— Bien sûr, a répondu François. Elle a juste besoin de temps.
J’ai eu envie de pleurer. Moi aussi, j’avais besoin de temps. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, de ne jamais trouver ma place dans cette famille recomposée.
Les semaines ont passé. Les disputes se sont multipliées : sur la vaisselle, les sorties tardives de Camille, son petit ami Hugo qui squattait le salon… François essayait d’arrondir les angles, mais je voyais bien qu’il souffrait de nous voir nous déchirer.
Un soir d’octobre, tout a explosé. Camille est rentrée à deux heures du matin, ivre et en larmes. Je l’ai attendue dans le salon, furieuse et inquiète.
— Tu te fiches de moi ? Tu sais quelle heure il est ?
— T’es pas ma mère !
La phrase m’a giflée. J’ai claqué la porte de ma chambre et j’ai pleuré toute la nuit. Le lendemain matin, François m’a prise dans ses bras.
— Elle est perdue, tu sais… Sa mère est partie loin, elle n’a plus que nous.
J’ai compris alors que derrière sa rébellion, Camille cherchait juste sa place elle aussi.
Peu à peu, j’ai essayé d’être moins dure. J’ai proposé à Camille de l’aider pour ses dossiers universitaires. Elle a accepté du bout des lèvres. Un soir, elle est venue s’asseoir près de moi pendant que je triais des papiers.
— Tu crois que je vais réussir à Sciences Po ?
— Bien sûr. Tu travailles dur. Et puis… tu es brillante.
Elle m’a regardée longuement, comme si elle me découvrait pour la première fois.
Les mois ont passé. Nous avons trouvé un rythme : le matin, on se croisait dans la cuisine en échangeant des sourires timides ; le soir, on partageait parfois un film ou une pizza. Un jour, Camille est rentrée rayonnante : « J’ai été prise ! » Elle s’est jetée dans mes bras sans réfléchir. J’ai senti son cœur battre contre le mien et j’ai su que quelque chose venait de changer entre nous.
Mais tout n’était pas réglé pour autant. Les tensions avec François sont apparues : il se sentait délaissé, jaloux parfois de notre complicité naissante. Un soir, il a explosé :
— J’ai l’impression d’être de trop chez moi !
J’ai compris alors que chacun devait trouver sa place. Nous avons parlé longtemps tous les trois autour d’un thé brûlant. Camille a avoué qu’elle avait eu peur que je veuille prendre la place de sa mère ; François a reconnu qu’il avait du mal à partager sa fille.
Ce soir-là, nous avons ri et pleuré ensemble. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai senti que nous étions une famille — différente, certes, mais soudée par nos failles et nos efforts.
Aujourd’hui, trois ans après ce fameux soir où tout a commencé, je regarde Camille préparer ses valises pour son stage à Bruxelles. Elle me serre fort dans ses bras avant de partir :
— Merci d’avoir cru en moi…
Je reste seule dans l’appartement silencieux et je repense à tout ce chemin parcouru. Est-ce qu’on devient vraiment parent du jour au lendemain ? Ou bien est-ce l’amour qui finit par tisser les liens les plus forts ? Qu’en pensez-vous ?