Tout pour mon fils : Quand l’amour maternel devient un fardeau
— Tu ne comprends rien, maman ! hurle Thomas en claquant la porte de sa chambre. Le bruit résonne dans tout l’appartement, faisant vibrer les verres dans le buffet hérité de ma mère. Je reste figée dans le couloir, la main tremblante sur la poignée, le cœur battant trop fort. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Je m’appelle Claire, j’ai cinquante-deux ans, et je vis à Lyon depuis toujours. Mon fils Thomas est tout ce qu’il me reste. Son père, Jean-Luc, est parti il y a cinq ans, lassé de nos disputes incessantes sur l’éducation de Thomas. Il disait que je l’étouffais, que je ne laissais aucune place à l’erreur. Mais comment aurais-je pu faire autrement ? Après la mort de ma mère, Thomas est devenu ma seule raison de me lever chaque matin.
Je me revois, il y a quinze ans, courant sous la pluie pour l’emmener à son premier cours de piano. Il avait six ans, les joues rouges d’excitation. Je voulais qu’il ait toutes les chances que je n’avais pas eues. J’ai travaillé deux emplois pour payer ses activités, ses études dans le privé. J’ai refusé des invitations, mis de côté mes propres envies. Tout pour lui.
Mais aujourd’hui, Thomas a dix-neuf ans. Il ne veut plus jouer du piano. Il veut arrêter la fac de droit et partir en Bretagne avec ses amis pour ouvrir un food truck. Un food truck ! Après tout ce que j’ai sacrifié…
— Tu ne vois donc pas que tu gâches ta vie ? ai-je crié hier soir, la voix étranglée par la colère et la peur.
Il m’a regardée avec une tristesse immense :
— Mais c’est ma vie, maman. Pas la tienne.
Ces mots m’ont transpercée. J’ai voulu répondre, mais rien n’est sorti. Je me suis réfugiée dans la cuisine, les mains crispées sur l’évier.
Depuis des mois, nos disputes s’enchaînent. Thomas rentre de plus en plus tard, évite mes questions. Je fouille dans ses affaires, je lis ses messages sur son téléphone quand il dort. Je me hais de le faire, mais la peur me ronge : peur qu’il échoue, peur qu’il souffre, peur qu’il m’abandonne comme son père.
Un soir d’hiver, alors que la neige tombait sur les toits de la Croix-Rousse, Thomas n’est pas rentré. J’ai appelé tous ses amis, j’ai fait le tour du quartier en pyjama sous mon manteau. À trois heures du matin, il est revenu, les yeux rougis par l’alcool et la fatigue.
— Pourquoi tu fais ça ? ai-je supplié en pleurant.
— Parce que tu ne me laisses pas respirer !
J’ai voulu le serrer dans mes bras mais il m’a repoussée.
Les semaines ont passé. Jean-Luc a tenté d’intervenir :
— Claire, tu dois le laisser vivre sa vie. Tu ne peux pas tout contrôler.
Mais comment lâcher prise ? Comment accepter que mon fils fasse des choix qui me semblent insensés ?
Un dimanche matin, Thomas a fait sa valise.
— Je pars chez Camille quelques jours.
J’ai senti le sol se dérober sous mes pieds.
— Tu vas revenir ?
Il a haussé les épaules :
— Je ne sais pas.
Depuis son départ, l’appartement est silencieux. Je passe mes journées à regarder ses photos d’enfant, à relire ses premiers dessins accrochés sur le frigo. J’entends encore son rire dans le salon quand il jouait avec notre vieux chat Moustache.
Je repense à toutes ces fois où j’ai refusé de l’écouter vraiment. À toutes ces peurs que j’ai projetées sur lui. À toutes ces fois où j’ai cru bien faire…
Hier soir, il m’a envoyé un message :
« Maman, je vais bien. Je t’aime mais j’ai besoin d’air. »
J’ai pleuré longtemps en lisant ces mots simples.
Aujourd’hui, je me demande : ai-je aimé trop fort ? Ou ai-je aimé mal ? Peut-on aimer son enfant au point de le perdre ?
Et vous… jusqu’où iriez-vous par amour pour vos enfants ?